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La Cour supérieure confirme la constitutionnalité des articles 118 et 366 C.c.Q.

La Cour supérieure confirme la constitutionnalité des articles 118 et 366 C.c.Q.

Dans une récente décision, la Cour supérieure a eu à se prononcer sur la nature juridique des mariages strictement religieux. Dans cette affaire de divorce, Monsieur contestait la validité constitutionnelle des articles 118 et 366 C.c.Q., en vertu desquels les ministres de culte doivent (ou plutôt peuvent, nous enseigne cette décision) déclarer au directeur de l’état civil les mariages qu’ils célèbrent. Monsieur soutenait qu’une telle contrainte portait atteinte à sa liberté de religion et à son droit à l’égalité puisqu’elle l’empêchait de se marier religieusement sans s’assujettir aux règles du patrimoine familial et de la société d’acquêts[1], le privant ainsi du libre choix des conséquences de sa conjugalité.

La cour rejette ces prétentions, notamment au motif que les dispositions visées habilitent sans toutefois obliger les ministres de culte à célébrer des unions civiles. Avant d’en arriver à cette conclusion, le Tribunal procède tout de même à une analyse des arguments constitutionnels invoqués par le demandeur.

Le tribunal se penche dans un premier temps sur la potentielle  violation de l’article 2a) de la Charte canadienne et de l’article 3 de la Charte québécoise.  Suivant la démarche analytique proposée dans Syndicat Northcrest c. Anselem[2], le tribunal reconnaît d’abord la croyance sincère de Monsieur dans le sacrement religieux, puis rejette sa position au motif que ce sont plutôt d’autres convictions personnelles qui y font obstacle :

[43] Monsieur croit sincèrement au sacrement du mariage, du point de vue religieux. Il est cependant en désaccord avec les conséquences économiques que le mariage entraîne du point de vue civil.

[44] Cette conviction personnelle de Monsieur, à l’égard des conséquences économiques du mariage civil, n’a aucun lien avec sa religion et ne constitue pas une atteinte à sa liberté de religion.

[45] Les dispositions contestées n’empêchent certainement pas Monsieur d’entretenir des croyances liées à sa religion.  Elles ne l’ont pas non plus empêchées « de se livrer à des pratiques » ayant un lien avec sa religion, en l’occurrence, de se marier. 

[46] Ainsi, Monsieur n’a pas démontré, par prépondérance de preuve, que les dispositions contestées aient nui, de façon plus que négligeable ou insignifiante, à sa capacité de se conformer à sa religion.

Il faut donc en déduire que les conséquences civiles de l’union ne constituent pas un fardeau significatif imposé au croyant. Il est à noter que la conclusion subséquente du Tribunal à l’effet qu’il est possible de s’unir religieusement sans souscrire au régime du mariage civil rend moins utile l’étude approfondie de l’entrave en question et de l’impact sur le libre choix de Monsieur de se conformer à l’exigence d’un sacrement religieux. Y voyant simplement une opposition entre deux croyances qu’entretient le demandeur, la Cour enchaîne que « ce ne sont pas les convictions religieuses de Monsieur qui sont heurtées par l’application des règles du patrimoine familial et de la société d’acquêts, mais plutôt l’évaluation qu’il en fait en tant que comptable »[3]. Autrement dit, l’entrave ne vient pas de la loi, mais bien de Monsieur lui-même. Ce raisonnement ne permet toutefois pas de distinguer clairement la croyance religieuse du demandeur de la pratique adoptée sur la foi de celle-ci, la seconde jouissant pourtant d’une liberté plus restreinte selon les enseignements la Cour Suprême.[4]

Le tribunal se penche ensuite sur la potentielle violation du droit à l’égalité protégé par l’article 15 de la Charte canadienne et l’article 10 de la Charte québécoise. Monsieur soumettait que les dispositions visées le privaient d’une liberté dont jouissent les non-croyants pouvant vivre en union de faits, soit de se soustraire au régime matrimonial civil. La juge Alary rejette cette prétention. Estimant que la différentiation dont se plaint Monsieur est fondée sur l’état civil et non la confession religieuse, elle ajoute que même en présence d’une distinction, la poursuite de l’analyse ferait également échec à sa position.

[80] Même si le Tribunal retenait que la loi crée une distinction fondée sur la religion,  elle ne crée pas un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou d’un stéréotype.

[81] En ce qui concerne la notion de « désavantage », le Tribunal note d’abord que le régime de protection accordé aux conjoints mariés est généralement considéré comme un avantage. La Cour suprême y réfère à plusieurs reprises en ces termes dans l’affaire Procureur général du Québec c. A.

[82] Même en supposant, pour les fins de l’exercice, que le législateur ait créé une distinction désavantageuse fondée sur la religion, le Tribunal est d’avis que cette distinction n’est pas discriminatoire puisque Monsieur n’a fait aucune preuve démontrant que la distinction désavantageuse invoquée perpétue un préjugé ou applique un stéréotype à l’égard des croyants. 

[83] Le Tribunal est donc d’avis que les articles 118 et 366 C.c.Q. sont compatibles avec le droit à l’égalité protégé par l’article 15 de la Charte canadienne et l’article 10 de la Charte québécoise.

Par ce raisonnement, le Tribunal réitère que l’état civil de Monsieur n’est pas une conséquence directe de l’exercice de sa pratique religieuse. La référence à l’absence de perpétuation de préjugé ou de stéréotype surprend toutefois, puisque la Cour suprême semblait avoir exempté le demandeur d’un tel fardeau dans Québec (Procureur général) c. A.[5] Bien qu’à la lueur de ces conclusions sur les deux atteintes alléguées il n’ait pas été nécessaire pour le Tribunal d’examiner la proportionnalité entre  celles-ci et l’objectif poursuivi par le régime législatif contesté, la juge Alary effleure tout de même l’exercice.

[100] Or, même si le Tribunal devait considérer qu’il existe une atteinte à  la liberté de religion de Monsieur ou au droit à l’égalité, celle-ci ne présenterait pas des inconvénients comparables à ceux que vivraient Madame si on la privait des avantages que lui accorde le Code civil et auxquels elle était en droit de s’attendre au moment de son mariage. D’ailleurs, s’il n’existait pas un tel enjeu, le Tribunal doute fort que Monsieur aurait invoqué les arguments constitutionnels.

Si l’analyse constitutionnelle soulève quelques interrogations, il n’en demeure pas moins que la portée de cette décision sur la nature des mariages religieux fait l’objet de bien plus grandes spéculations. Cette décision a-t-elle réellement pour effet d’entériner une scission entre les deux institutions et de placer le mariage religieux à l’ombre du droit civil ? La question sera peut-être tranchée lors d’un éventuel appel. À tout le moins, la décision met en lumière un doute partagé quant à l’interaction de deux normativités que beaucoup croyaient unies pour la vie, à tort peut-être.

[1] En l’espèce, les parties n’avaient pas précédé leur union d’un contrat de mariage et étaient donc assujettis au régime de la société d’acquêts.
[2] Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, 2004 CSC 47
[3] D. (A.) c. M. (G.), sub nom. Droit de la famille – 16244, EYB 2016-261671 (C.S.), para 49
[4] Université Trinity Western c. College of Teachers, [2001] 1 R.C.S. 772, para 36
[5] Québec (Procureur général) c. A. [2013] 1 R.C.S. 61, para 330

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