
Quand une demande non-contentieuse débouche sur l’octroi de dommages pour abus de procédure de 200 000 $…
Le 17 août 2018, Blue Stone Inc. obtenait un jugement la déclarant désormais propriétaire par prescription décennale d’une parcelle de ruelle adjacente à son immeuble, situé au 2875, rue Bates.
La veille, Blue Stone et le propriétaire de l’Immeuble voisin, la demanderesse Greenstone Realties Inc., signaient l’entente suivante :
Should Greenstone Realties Inc., which owns lot 2,174,639, file proceedings before the Court to acquire by prescription the part of the alley that is directly in the back of their property, which is a portion of the alley 2,482,537, I hereby [irrevocably] consent to such acquisition by prescription.
Ariel Ohayon
Comme de fait, le 29 novembre, 2018, Greenstone dépose une demande en justice, souhaitant à son tour acquérir par prescription décennale une parcelle de ruelle adjacente à son immeuble. Or, pour des raisons qui ne seront jamais véritablement élucidées, la demande de Greenstone sera contestée avec véhémence par Blue Stone, à coups de demande de rejet, demande de déclaration d’abus et demande de bene esse à la Cour d’appel.
Au cœur de l’argumentaire de Blue Stone : le retrait de la mention irrevocably dans l’entente signée le 16 août 2018 entre les parties, et qui, de l’avis de Blue Stone, lui permet de s’opposer à la démarche de Greenstone.
Non seulement Blue Stone ne réussira-t-elle à avoir gain de cause dans ses demandes, une déclaration d’abus sera prononcée contre elle par le juge Pinsonneault le 14 janvier 2020, qui demeurera en outre saisi du dossier pour décider des dommages à octroyer dans le cadre de la déclaration d’abus.
C’est de ce jugement dont il est question ici. Repassant à travers les principes applicables en matière de compensation pour les honoraires extrajudiciaires déboursés, le juge Pinsonneault rappelle ce qui suit :
[32] Ainsi, lorsque le Tribunal conclut à l’abus et que la partie visée par cet abus réclame les honoraires extrajudiciaires qu’elle a dû défrayer pour se défendre, le Tribunal doit en analyser le caractère raisonnable à la lumière des facteurs suivants :
– l’importance et la difficulté du litige ;
– le temps qu’il était nécessaire d’y consacrer ;
– la façon dont l’instance a été menée par la partie qui réclame le remboursement de ses honoraires extrajudiciaires ;
– la raisonnabilité intrinsèque du taux horaire de l’avocat de cette partie ou du montant facturé ;
– la proportionnalité des honoraires réclamés au regard de la condamnation prononcée et l’ensemble du contexte.
[33] Enfin, la partie qui réclame le remboursement de ses honoraires extrajudiciaires doit également démontrer un lien de causalité entre les honoraires réclamés et l’abus fautif.
[34] D’emblée, à la lumière de ce qui précède, quant à l’établissement d’une faute entrainant la responsabilité civile de Blue Stone et le lien de causalité entre les honoraires réclamés et l’abus de Blue Stone, le Jugement Pinsonnault sert de point de référence :
[167] Avec égards, on ne peut avoir une illustration plus patente d’un comportement caractérisé par la mauvaise foi d’un homme d’affaires qui a abusé de la bonne foi de M. Dayan et de son avocate Chênevert [BLG] en obtenant malhonnêtement et sous de fausses raisons le consentement écrit qui a permis à M. Ohayon d’obtenir le Jugement Beaugé sans contestation de la part de Greenstone.
Au terme de son analyse, le juge Pinsonneault accordera 175 000 $ à titre de compensation pour les honoraires encourus, sur une réclamation initiale d’un peu plus de 267 000 $.
Toutefois, le juge Pinsonneault ne s’arrêtera pas là, et accordera, chose plutôt exceptionnelle, des dommages punitifs en vertu de l’article 54 C.p.c. afin de dissuader Blue Stone et son représentant, M. Ohayon, de répéter de tels agissements, qui semblaient avoir comme objectif sous-jacent de nuire à son voisin, qui prévoyait, tout comme Blue Stone de construire un immeuble à condo sur son terrain :
[69] L’avocat rappelle qu’il ressort de la doctrine et d’une jurisprudence constante que la sanction de dommages-intérêts punitifs conserve un caractère exceptionnel et qu’elle doit être réservée aux situations présentant les cas d’abus les plus manifestes et intolérables.
[70] Ce ne sont pas tous les cas d’abus qui justifient l’octroi de dommages punitifs, lesquels doivent en principe être attribués avec retenue.
[71] Par ailleurs, chaque cas est un cas d’espèce pour lequel le Tribunal doit exercer sa discrétion judiciaire avec retenue.
[72] Le Tribunal partage l’opinion de l’avocat de Blue Stone à une exception près.
[73] Avec égards, la conduite de Blue Stone agissant par l’entremise de M. Ohayon telle que constatée dans le Jugement Pinsonnault constitue aux yeux du Tribunal une conduite répréhensible et manifestement abusive laquelle fut marquée par une utilisation excessive et déraisonnable de la procédure et des ressources judiciaires.
[74] Cette conduite est si grave et si répréhensible qu’elle doit être dénoncée afin de dissuader, d’une part, Blue Stone agissant par l’entremise de M. Ohayon de récidiver et d’autre part, de décourager la répétition d’un comportement semblable par toute autre personne.
[75] Malheureusement, force est de constater que malgré le message convié par l’entremise du Jugement Pinsonnault, Blue Stone a décidé de perpétuer le comportement abusif dénoncé en tentant en vain de se pourvoir en appel, réussissant ainsi à retarder de plus belle la mise en marché du projet immobilier de Greenstone.
[76] Faut-il rappeler que le droit de se pourvoir en appel ou de tenter de se pourvoir en appel ne doit pas être exercé de façon abusive.
[77] Le Tribunal retient que la Cour d’appel a rejeté l’appel au stade préliminaire après avoir constaté que l’appel soit de plein droit ou qu’il requiert une permission en tout ou en partie, celui-ci ne devait pas aller de l’avant puisqu’il ne présentait aucune chance raisonnable de succès. La Cour d’appel a ajouté qu’aucun des motifs d’appel soulevés par la déclaration d’appel ne pointait en direction d’une erreur révisable du juge, car tous les moyens reposaient essentiellement sur l’appréciation des faits prouvés au cours des deux jours de l’audition en première instance.
[78] Ce constat d’absence totale de chance raisonnable de succès suffit sans qu’il ait été nécessaire que la Cour d’appel se prononce spécifiquement sur la question de l’appel abusif pour permettre au juge de première instance de considérer cette procédure qui a failli dans la détermination des dommages punitifs, si ce dernier l’estime pertinent.
[79] Somme toute, considérant l’ensemble des circonstances particulières du présent dossier, des conclusions auxquelles est parvenu le Tribunal en fonction de la preuve administrée et considérant surtout la gravité du comportement abusif qui s’est malheureusement perpétué sur plus d’un an, l’attribution de dommages punitifs de l’ordre de 25 000 $ lui apparait pleinement justifiée et raisonnable afin d’assurer la fonction préventive et dissuasive liée à l’attribution de dommages punitifs.