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La réception d’une demande de permis ne doit pas paralyser le pouvoir réglementaire d’une municipalité (et autres histoires de golfeurs)

La réception d’une demande de permis ne doit pas paralyser le pouvoir réglementaire d’une municipalité (et autres histoires de golfeurs)

Dans Municipalité de Saint-Colomban c. Boutique de golf Gilles Gareau, 2019 QCCA 1402, la Cour d’appel du Québec devait décider si le règlement adopté par la Municipalité de Saint-Colomban afin d’empêcher un développement immobilier sur un terrain de golf constituait une expropriation déguisée.

Boutique de golf a fait l’acquisition en 1987 de plusieurs lots situés sur le territoire de la Ville. Parmi ces lots se trouve le Club de golf de Bonniebrook, une institution à Saint-Colomban. Il s’agirait effectivement de l’un des premiers clubs de golf des Laurentides. En 1994, après un agrandissement du parcours de golf, Boutique de golf lance un projet résidentiel aux abords du club. Un quartier résidentiel y est bâti, par phases successives, au cours des deux décennies suivantes.

En 2013, l’industrie du golf au Québec est en perte de vitesse. Boutique de golf élabore donc un nouveau plan de développement immobilier, mais cette fois sur une portion du terrain occupé par le golf. Appréhendant une perte de qualité de vie, les résidents bordant le club de golf s’opposent au projet auprès des autorités municipales.

Les représentants de la Ville réalisent alors que le zonage en place n’est pas ce qu’ils croyaient : alors qu’ils croyaient l’usage résidentiel interdit sur les lots du terrain de golf, et l’usage « terrain de golf » permis, la situation prévalant est à l’inverse. Le règlement de zonage permet l’usage résidentiel, mais interdit l’usage « terrain de golf ». La Ville, en réaction au dépôt du projet de Boutique de golf, modifie donc son règlement. Le règlement de zonage modifié empêchera dorénavant tout développement résidentiel sur le terrain de golf.

Boutique de golf demande au tribunal d’annuler le règlement de zonage modifié et d’ordonner à la Ville de lui délivrer des permis de lotissement nécessaires à ses nouveaux projets résidentiels. Subsidiairement, elle demande au tribunal de déclarer que le règlement de zonage constitue une expropriation déguisée et de payer une indemnité d’expropriation.

La Cour supérieure, sous la plume du juge Pierre Journet, accueille la demande de Boutique de golf et déclare que le règlement de zonage modifié constitue une expropriation déguisée. Il fixe l’indemnité d’expropriation à 3 998 9000 $ et déclare que l’ensemble des sommes dues à Boutique de golf s’élève à 4 038 771,02 $. Selon le magistrat, la modification du règlement de zonage par la Ville constituait une manœuvre politique irrationnelle et « mal ourdie ».

La Cour d’appel, saisie d’un pourvoi par la Ville, doit d’abord décider si une permission d’en appeler est nécessaire dans les circonstances (et il s’agit ici de la première histoire de golfeurs qui vous est offerte par le blogue d’IMK cette semaine).

Il existe effectivement une distinction dans le Code de procédure civile entre les pourvois en contrôle judiciaire d’actes administratifs (par exemple, la décision d’un fonctionnaire ou une résolution municipale) et les pourvois en contrôle judiciaire d’actes normatifs (par exemple, une loi ou un règlement) : les premiers nécessitent une permission d’appeler, tandis que les seconds sont appelables de plein droit.

Une question demeurait toutefois irrésolue dans la jurisprudence : un acte normatif est-il appelable de plein droit dans tous les cas, ou ce droit d’appel est-il limité aux situations où les arguments soulevés sont de nature constitutionnelle ? En d’autres termes, une permission d’appeler est-elle nécessaire lorsque l’appelant conteste la « légalité », plutôt que la « constitutionnalité », de la règle de droit ? En l’espèce, le règlement municipal n’est attaqué que sous l’angle de sa raisonnabilité.

En réponse à cette question, la Cour d’appel se garde d’établir une distinction (qui serait conceptuellement douteuse) entre « légalité » et « constitutionnalité » d’un acte normatif. Elle conclut plutôt que tout pourvoi en contrôle judiciaire d’un acte normatif est appelable de plein droit.

Sur le fond de l’affaire (et il s’agit ici de la seconde histoire dont vous pourrez régaler vos partenaires de golf), la Cour d’appel accueille le pourvoi de la Ville pour les motifs suivants.

La Cour supérieure aurait commis deux erreurs fondamentales en concluant à une expropriation déguisée en l’instance. D’abord, la simple diminution de valeur d’un immeuble résultant de l’imposition de restrictions à son utilisation ne peut affecter la validité d’un règlement de zonage. Pour qu’un tel règlement équivaille à une expropriation déguisée, les restrictions qu’il impose doivent avoir pour effet de supprimer toute utilisation raisonnable de l’immeuble. La deuxième erreur du juge serait justement de ne pas s’être demandé si les usages autorisés dans la zone où se trouve le golf permettent une utilisation raisonnable des terrains.

En l’espèce, le règlement de zonage modifié permet tous les usages de la classe « Commerce récréotouristique (C-4) », incluant l’usage « terrain de golf ». Boutique de golf peut donc continuer à exploiter un terrain de golf sur sa propriété, usage qui a d’ailleurs cours depuis le début des années 50. Puisque des utilisations raisonnables du terrain sont toujours possibles, il ne peut y avoir expropriation déguisée.

La Cour d’appel renverse également la conclusion de la Cour supérieure quant à la mauvaise foi de la Ville. Selon la Cour d’appel, la modification du règlement de zonage après le dépôt par Boutique de golf de son projet résidentiel a été complétée dans l’intérêt public. Le dépôt du plan projet incomplet a en effet alerté la Ville à la situation de zonage existante. Les représentants de la Ville ont alors réalisé leur erreur de compréhension du zonage applicable. La Ville a ainsi apporté des modifications à son zonage afin de protéger la qualité de l’ensemble résidentiel autour du golf et de conserver l’usage du terrain de golf dans l’intérêt de la Ville et de ses citoyens.

La Cour d’appel conclut que la réception d’une demande de permis ne doit pas paralyser le pouvoir réglementaire d’une Ville. Un conseil de ville réalisant les inconvénients que le permis sollicité risque d’entraîner pour l’ensemble de la population peut remédier sans délai à la carence de sa réglementation. Voilà qui devrait meubler les conversations de votre prochain dix-huit trous.

 

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