
Une clause testamentaire discriminatoire envers les conjoints de fait
Dans l’arrêt Laroche c Lamothe[1], la Cour d’appel se retrouve saisie de l’applicabilité et de la validité d’une clause testamentaire assujettissant le paiement d’une rente à une condition. Le testament de feu Jean Laroche prévoit effectivement pour Laurette Lamothe, sa conjointe des sept dernières années, la rente annuelle suivante :
« 3. Je lègue le résidu de tous mes biens meubles et immeubles absolument quelconque que je délaisserai à mon décès à mon frère MARTIN LAROCHE, que j’institue mon légataire universel résiduaire en pleine et entière propriété, et que je désigne comme mon liquidateur; À CHARGE par lui cependant de verser à ma conjointe LAURETTE LAMOTHE une rente annuelle minimum de VINGT MILLE DOLLARS ($20,000.00), et ce, sa vie durant ou jusqu’à ce qu’elle fasse vie commune avec un autre homme ou jusqu’à ce qu’elle devienne inapte, à la seule discrétion et jugement de mon légataire universel résiduaire, CONDITIONNELLEMENT également à ce qu’il y ait suffisamment d’argent dans ma succession pour payer ladite rente. »
Suite au décès de M. Laroche, son frère Martin Laroche, liquidateur désigné, procède au versement de la rente annuelle puis interrompt les paiements en mai 2014 au motif que Mme Lamothe ferait vie commune avec un autre homme, ce qu’elle nie. Le juge de première instance conclut qu’en hébergeant, pour une période de six mois, un homme dont la maison a été détruite par un incendie, l’intimée n’a pas ainsi « fait vie commune avec un autre homme ». Bien qu’elle ait déjà entretenu une relation amoureuse avec cet homme, la preuve révèle que leur relation est de nature strictement amicale au moment de la cohabitation litigieuse. Le juge conclut également que la clause est discriminatoire en vertu de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.
Ne décelant aucune erreur dans les constatations factuelles du juge de première instance, la Cour d’appel, sous la plume de l’Honorable Dominique Bélanger, confirme que l’intimée n’a pas fait vie commune avec l’homme qu’elle hébergeait. La Cour rejette la prétention de l’appelant à l’effet que la notion de vie commune n’impliquerait ni dimension amoureuse, ni prise en charge financière et se limiterait plutôt à une cohabitation. Une telle conception de la vie commune ne cadre pas avec le sens généralement connu de l’expression. Concluant à l’inapplicabilité de la clause, la Cour procède tout de même à l’examen de sa validité vu l’impact futur qu’elle pourrait avoir sur l’intimée.
La Cour estime que la solution fournie par l’article 757, lequel établit qu’une clause testamentaire contraire à l‘ordre public est réputée non écrite, n’est pas complète en l’espèce. Son deuxième alinéa, qui précise l’invalidité des clauses dites de viduité, ne fait pas référence à la situation des conjoints de fait :
757. La condition impossible ou contraire à l’ordre public est réputée non écrite.
Ainsi est réputée non écrite la disposition limitant les droits du conjoint survivant lorsqu’il se lie de nouveau par un mariage ou une union civile.
Il n’y aucun doute que la clause serait inopposable à l’intimée si elle référait à son éventuel mariage à un autre homme. La question réside donc dans l’effet potentiellement discriminatoire de cette clause qui, ne tombant pas sous le coup de la protection spécifique prévue à l’article 757 al. 2, aurait potentiellement pour effet de compromettre son droit à la pleine égalité.
La juge Bélanger s’attarde d’abord à l’existence d’un motif de discrimination en vertu de l’article 10 de la Charte. Reprenant la définition large fournie par la Cour suprême dans Brossard c. Québec[2], laquelle étend la notion d’état civil à « tout un éventail de faits qui se rapportent aux trois éléments classiques de l’État civil – la naissance, le mariage et le décès », la Cour conclut que l’exclusion créée par la clause en est une fondée sur l’état civil. Elle trace d’ailleurs le parallèle avec la reconnaissance par la Cour suprême du statut marital de femme non mariée comme étant un motif analogue en vertu de l’article 15 de la Charte Canadienne.[3]
Les motifs de la majorité concluent également à une violation de l’article 5 de la Charte québécoise en ce que la clause prive l’intimée du droit de faire un choix éminemment personnel à l’abri d’influence indue[4] :
[62] La vie familiale et amoureuse d’une personne est protégée, pour reprendre les propos du juge en chef Michaud, car le concept de vie privée est « destiné à protéger ce qui fait partie de la vie intime de la personne, bref ce qui constitue un cercle personnel irréductible, à l’abri des indiscrétions ».
[63] Le droit à la vie privée comprend celui très personnel de vouloir vivre avec un conjoint de fait.
La Cour estime ensuite qu’il n’y pas de justification possible aux violations des articles 5 et 10 de la Charte québécoise. Le droit du défunt de disposer librement de ces biens n’est d’aucun secours à l’appelant puisque la Charte limite explicitement ce droit à la « mesure prévue par la loi ».[5] La majorité estime que la liberté de tester, jadis érigée en principe quasi-absolu, a été maintes fois tempérée par le législateur, de sorte qu’on ne peut plus l’opposer aux droits fondamentaux de l’intimée.
L’Honorable Manon Savard, dissidente, convient de la justesse des conclusions de fait de première instance relativement à l’absence de vie commune. Elle croit toutefois que la question de la validité de la clause n’interpelle que le droit à la vie privée de l’intimée. Le choix d’opter pour une vie conjugale, peu importe la forme retenue, relève indéniablement de la vie privée, ce qui suffit à déterminer que la condition litigieuse est nulle en vertu du premier alinéa de l’article 757. Selon la juge Savard, le cas en l’espèce ne commande pas l’analyse d’une possible discrimination fondée sur l’état civil :
[81] Il est vrai que la protection énoncée au second alinéa de l’article 757 C.c.Q. est limitée au seul conjoint survivant « […] lorsqu’il se lie à nouveau par un mariage ou une union civile ». Celui ou celle qui adopte une conjugalité hors mariage en est exclu(e). Toutefois, la portée limitée du second alinéa est ici sans conséquence en ce que, comme l’écrit ma collègue, cet alinéa « constitue un exemple non limitatif » du principe général illustré au premier alinéa. Elle ne requiert pas qu’on s’interroge si la distinction qu’il comporte est fonction ou non de l’état civil, d’autant plus que la constitutionnalité de cette disposition n’est pas ici remise en question. Il ne faut pas ici amalgamer le débat relatif à la validité de la clause testamentaire avec celui propre à la constitutionnalité de l’article 757, al. 2 C.c.Q. dont la Cour n’est pas saisie.
La mise en garde soulève un questionnement intéressant quant à l’origine de l’exclusion jugée discriminatoire par la majorité. Est-ce la clause de viduité « imparfaite » qui, omettant de préciser les modes de conjugalité proscrits, exclut les conjoints de faits d’une protection spécifique prévue par le législateur ou est-ce plutôt l’œuvre de cette disposition législative spécifique qui, précisant la nullité des clauses de viduité, ne réfère pas aux conjoints de faits? La deuxième alternative inviterait la Cour à se saisir d’un tout autre débat, notamment vu le caractère non limitatif de la disposition qui se retrouverait attaquée.
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[1] 2018 QCCA 1726
[2] Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279
[3] Québec (Procureur Général) c. A, [2013] 1 R.C.S. 61
[4] Godbout c. Ville de Longueuil, [1997] 3 R.C.S. 844
[5] Article 6 de la Charte québécoise : « Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi ».