
Une action collective doit être « utile » afin de satisfaire au paragraphe 575(3) Cpc
Dans l’arrêt D’Amico c. Procureure générale du Québec, 2019 QCCA 1922, la Cour d’appel se prononce sur la considération que les tribunaux doivent accorder à l’utilité de l’action collective au stade de l’autorisation de ladite action collective.
Dans cette affaire, les appelants se pourvoient contre un jugement rendu oralement par l’honorable juge Claude Dallaire, cette dernière leur ayant refusé l’autorisation d’exercer une action collective. Lesdits appelants sont des personnes handicapées depuis la naissance subissant de graves contraintes à l’emploi. Dans cette optique, ils ont dû avoir recours aux prestations octroyées en vertu du Programme de solidarité sociale (le « Programme ») prévu au sein de la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles (la « Loi ») et du Règlement sur l’aide aux personnes et aux familles (le « Règlement »). Le Programme a notamment pour objectif d’accorder une aide financière de dernier recours aux personnes qui, à l’instar des appelants, souffrent de graves contraintes à l’emploi, et ce, tout en favorisant leur inclusion et leur participation sociale.
Or, les appelants ont demandé l’autorisation d’exercer un recours collectif au nom de « toutes les personnes majeures, handicapées, affectées de contraintes sévères à l’emploi, résidant au Québec et qui reçoivent ou ont reçu des prestations en vertu du Programme » (le « Groupe »). Ils allèguent notamment que diverses prescriptions du Programme sont telles qu’elles font en sorte de maintenir les membres du Groupe sous le seuil de la pauvreté et de porter atteinte à divers droits fondamentaux garantis par les chartes (articles 2, 6, 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et articles 1, 4, 5, 6, 10, 45 et 48 de la Charte des droits et libertés de la personne). Les prescriptions ainsi visées disposent notamment que les prestations sont réduites, voire annulées dans la mesure où les prestataires se marient, reçoivent des dons, étudient à temps plein, travaillent à temps partiel, etc. Par le truchement de leur procédure, les appelants cherchaient à obtenir une déclaration d’invalidité, d’inconstitutionnalité, d’inopposabilité de certaines dispositions de la Loi. Qui plus est, ils cherchaient aussi à obtenir des dommages compensatoires et punitifs en faveur des membres du Groupe.
Pour sa part, la juge de première instance a déterminé que seul le premier des quatre critères de l’article 575 Cpc était satisfait, à savoir que les demandes des membres du Groupe soulevaient des questions de droit similaires. Elle a aussi conclu que les faits allégués ne paraissaient pas justifier les conclusions recherchées en raison de l’absence d’allégations de faute, de mauvaise foi ou d’abus de pouvoir. Qui plus est, elle a jugé le recours incompatible avec l’action collective puisqu’un membre ne pourrait s’exclure du Groupe car la déclaration d’inconstitutionnalité est nécessairement d’application générale. Toujours selon la juge de première instance, le recours ne satisfait point au troisième critère puisqu’un pourvoi en contrôle judiciaire permettrait aux appelants d’en arriver au même résultat, mais dans le cadre d’un véhicule procédural à la fois moins complexe et plus proportionnel. Enfin, le quatrième critère n’est pas satisfait non plus, et ce, étant donné que la procédure demeure muette quant aux tentatives effectuées par les appelants afin que d’autres personnes se joignent à leur recours.
La Cour d’appel, dans le cadre d’un jugement unanime rédigé sous la plume de l’honorable France Thibault, se penche sur trois questions en litige:
[23] Dans leur mémoire d’appel, les appelants font valoir que la juge de première instance commet plusieurs erreurs en lien avec: (1) leur capacité de représenter adéquatement les membres du Groupe; (2) l’irrecevabilité de la demande en dommages-intérêts; (3) la conclusion selon laquelle la nature exclusivement déclaratoire de l’action collective en empêcherait l’autorisation.
Pour ce qui concerne le quatrième critère de l’article 575 Cpc, la Cour d’appel exprime son désaccord par rapport à la conclusion tirée par la juge de première instance:
[26] Ici, la juge de première instance constate la « réelle motivation des demandeurs à remplir un tel rôle » et « leur capacité pour ce faire ». La capacité, l’intérêt sincère et légitime des appelants ainsi que l’absence de conflit d’intérêts sont établis. Les exigences additionnelles imposées par la juge — concernant les tentatives faites par les appelants pour contacter d’autres personnes intéressées et la démonstration du nombre de personnes visées par le Groupe — ne sont pas pertinentes pour statuer sur leur statut de représentants.
[notes omises]
Néanmoins, la Cour d’appel a confirmé la position adoptée par la juge de première instance en ce qui a trait à l’irrecevabilité de la demande en dommages-intérêts. En effet, la procédure des appelants ne fait point état d’une quelconque faute empreinte de mauvaise de foi ou d’un quelconque abus de pouvoir de l’intimée. Dans cette optique, l’on en comprend que leur action en responsabilité découlerait exclusivement de la déclaration d’inconstitutionnalité des dispositions visées qu’ils cherchent à obtenir.
Le recours en dommages-intérêts s’en trouvant ainsi écarté puisque irrecevable, l’action collective pour laquelle les appelants cherchent à obtenir l’autorisation ne se fonde plus que sur la seule conclusion de la déclaration d’inconstitutionnalité. La cour d’appel devait donc trancher à savoir si l’on peut autoriser une action collective de nature purement déclaratoire à l’aune du paragraphe 575(3) Cpc. Pour ce faire, elle évalue trois principaux arguments.
En premier lieu, la Cour d’appel rejette l’approche selon laquelle l’on refuserait d’autoriser une action collective exclusivement déclaratoire puisque ce véhicule procédural à la fois complexe et coûteux ne serait pas proportionnel dans un tel cas. Ce faisant, elle rappelle que le principe de proportionnalité n’est pas un critère d’autorisation d’une action collective et que cela comporte certaines conséquences:
[43] Puisqu’il ne constitue pas un critère autonome d’autorisation, le principe de proportionnalité à lui seul ne peut pas être retenu pour faire échec à une action collective de nature déclaratoire. Le juge autorisateur n’a pas à se demander si le recours collectif est le véhicule procédural le plus adéquat, mais il doit tenir compte de la proportionnalité lors de l’examen de chacun des critères de l’article 575 C.p.c.
[nos soulignements]
Quant à l’argument voulant qu’une action collective de nature purement déclaratoire ne peut être autorisée puisqu’une déclaration d’inconstitutionnalité s’avèrerait incompatible avec le droit des membres de s’exclure d’un groupe, la Cour d’appel juge qu’il ne s’agit pas d’un argument suffisant pour faire échec à l’autorisation. Néanmoins, elle affirme qu’il s’agit certes d’un facteur pertinent dans l’analyse de l’utilité d’une action collective.
Enfin, la Cour d’appel analyse de façon exhaustive l’argument selon lequel une action collective ne peut être autorisée si le recours ne revêt aucune utilité. À cet effet, la Cour d’appel s’exprime ainsi:
[54] L’utilisation de l’action collective, lorsque le pourvoi en contrôle judiciaire en nullité mène au même résultat, produit l’effet contraire sur les ressources judiciaires : le procès est plus lourd et plus onéreux, ne serait-ce qu’en raison des étapes d’autorisation, de notification et de publication d’avis aux membres. De plus, l’action collective ne facilite pas l’accès à la justice, puisque le même résultat sera atteint par une procédure plus simple. Enfin, l’action collective, telle que formulée, n’a aucun effet dissuasif puisqu’elle ne comporte aucune condamnation.
[55] Je suis d’avis que l’action collective n’a pas été envisagée par le législateur comme une voie procédurale utile en cas de demande purement déclaratoire. Elle ne remplit aucun des objectifs poursuivis par ce recours. Or, « [l]e rédacteur, qui ne peut prévoir toutes les circonstances où son texte devra s’appliquer, doit pouvoir attendre des tribunaux autre chose que des critiques : il doit pouvoir compter sur leur collaboration dans l’accomplissement du but de la loi ». La notion d’utilité n’exige pas que l’action collective soit « le meilleur recours », mais seulement qu’il existe un avantage quelconque à procéder par rassemblement.
[nos soulignements, notes omises]
Bref, ce jugement de la Cour d’appel est important en matière d’action collective puisque celle-ci en vient explicitement à la conclusion que le paragraphe 575(3) comporte une véritable exigence d’utilité du recours afin que l’autorisation d’exercer une action collective soit accordée. C’est bien sur cette base que la Cour d’appel rejette l’appel dans cette affaire. De ce fait, la Cour d’appel nous rappelle, à bon droit, que l’action collective constitue un véhicule procédural exceptionnel, à la fois complexe et coûteux, de sorte qu’il faille l’utiliser à bon escient.