
Le désistement et l’action collective : un mariage heureux?
Le 1er juin 2021, la Cour d’appel a rendu une décision intéressante—École communautaire Belz c. Bernard, 2021 QCCA 905, portant sur les balises entourant une demande de désistement au stade de l’autorisation d’une action collective.
Contexte. Il s’agissait d’une demande d’autorisation d’exercer une action collective contre 126 établissements d’enseignement privés, dont les quatre appelants. Les requérants reprochaient aux établissements scolaires d’avoir perçu la totalité des frais de scolarité prévus au contrat éducatif conclu avec les membres du groupe envisagé, alors qu’ils n’avaient pas rendu certains des services qui y sont énumérés compte tenu de la pandémie. Ils demandaient donc le remboursement partiel de ces frais de scolarité.
L’audition de la demande d’autorisation a eu lieu le 9 juin. À ce jour, le jugement sur l’autorisation n’a toujours pas été rendu.
Les intimés voulaient se désister de leur demande en ce qui concerne quatre des établissements scolaires (les appelants) et ont demandé l’autorisation du tribunal pour ce faire. Ils ont affirmé que les appelants ne leur ont versé aucune contrepartie, directe ou indirecte, et ils soutenaient que le désistement envisagé ne causerait aucun préjudice aux membres putatifs ayant contracté avec les appelants puisque leur recours n’était pas prescrit, qu’aucune quittance leur étant opposable n’était donnée et qu’un avis de ce désistement serait publié et affiché.
Décision de première instance. Le premier juge a refusé d’accorder la demande autorisant le désistement puisque les appelants ont refusé de divulguer les motifs justifiant le désistement, soutenant s’être engagés à préserver la confidentialité des informations qu’ils ont reçues. Dans ces circonstances, le premier juge a conclu qu’il ne pouvait autoriser le désistement demandé car ceci reviendrait à demander au tribunal de donner son accord à l’aveuglette.
Motifs de la Cour d’appel. La Cour d’appel a renversé le jugement de première instance et a autorisé le désistement demandé.
Dans un premier temps, la Cour a rappelé qu’aucune disposition expresse du Code de procédure civile n’exige que le requérant qui souhaite se désister de sa demande d’autorisation obtienne préalablement l’autorisation du tribunal. D’ailleurs, puisque les appelants n’ont pas contesté le fait qu’une autorisation était requise, la Cour a préféré laisser pour une autre fois la question de la nécessité d’obtenir ou non une telle autorisation :
[10] Aucune disposition du Code de procédure civile n’exige expressément que le requérant qui souhaite se désister de sa demande d’autorisation obtienne préalablement l’autorisation du tribunal. Certains sont d’avis que cette obligation découle de l’article 585 C.p.c. , malgré qu’il ne s’applique stricto sensu qu’à l’étape de l’action collective proprement dite et non au stade de l’autorisation , alors que d’autres y voient plutôt une conséquence du pouvoir de gestion conféré au juge par l’art. 158 C.p.c. et de la mission qui lui est confiée d’assurer la saine gestion des instances (art. 19 C.p.c.) et de protéger les intérêts des membres absents, même s’ils ne sont alors que putatifs .
[11] Que cette obligation trouve sa source dans l’une ou l’autre des dispositions importe peu puisque, quoi qu’il en soit, le juge, à ce stade, a essentiellement pour mission de protéger les membres putatifs du groupe envisagé et l’intégrité du système judiciaire. Cela étant, les appelants postulant que les intimés devaient obtenir l’autorisation du tribunal pour se désister de leur demande d’autorisation et personne ne contestant leur pourvoi, la Cour est d’avis qu’il n’y a pas lieu qu’elle tranche la question de savoir si cette autorisation est ou non nécessaire. Elle tiendra donc pour acquis qu’elle l’est et s’intéressera plutôt au rôle du juge appelé à autoriser un tel désistement.
Ainsi, en prenant pour acquis qu’une telle autorisation était requise, la Cour d’appel a énoncé les deux conditions à remplir pour autoriser un désistement. Le tribunal devra s’assurer que :
a) les membres putatifs ne perdent pas leurs droits et déterminer les mesures devant être prises à cette fin; et
b) ne portera pas atteinte à l’intégrité du système judiciaire.
Est-ce que cela veut dire que le tribunal peut aller jusqu’à exiger du requérant qu’il dévoile les raisons qui sous-tendent le désistement demandé? La Cour a répondu par la négative, et a conclu :
[20] Le juge doit jouer son rôle à la lumière du principe voulant que les parties, dans la mesure où elles respectent les principes, les objectifs et les règles de la procédure et des délais établis, ont la maîtrise de leur dossier.
[21] Ainsi, tant et aussi longtemps qu’il n’a pas de raison de croire que la décision du requérant de se désister peut porter atteinte à l’intégrité du système de justice ou aux intérêts des membres putatifs, il n’a pas à s’immiscer dans celle-ci et n’a pas à vérifier les raisons qui la sous-tendent. L’opportunité de se désister d’une demande d’autorisation est une décision qui appartient au requérant.
Bien que la Cour ait reconnu qu’il pourrait y avoir des situations très rares où un tribunal devra pousser plus loin son analyse et pourrait devoir requérir les motifs justifiant un désistement, elle a conclu que dans la vaste majorité des cas cette information n’était pas nécessaire. D’ailleurs, souvent, cette information pourrait être protégée par le secret professionnel ou par le privilège relatif au litige.
En l’espèce, la Cour d’appel a statué que le désistement demandé devrait être accordé. Elle a conclu que les membres putatifs ne subiraient aucun préjudice, leur droit d’action n’étant pas prescrit, ils seront informés du désistement, et auront le temps requis pour prendre action, le cas échéant. De plus, les appelants ont confirmé n’avoir reçu aucune contrepartie, directe ou indirecte, ni leurs procureurs. Ainsi, l’intégrité du système judiciaire n’a pas été compromise.
Conclusion. Nous attendons avec impatience la décision qui tranchera sur la nécessité ou non d’obtenir une autorisation préalable concernant un désistement dans le cadre d’une action collective. Cependant, en attendant, École communautaire Belz c. Bernard énonce clairement le fardeau à remplir pour l’obtenir, le cas échéant.