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Actes de procédure abusifs : appel de plein droit ou permission d’appeler? La Cour d’appel tranche!

Actes de procédure abusifs : appel de plein droit ou permission d’appeler? La Cour d’appel tranche!

L’article 30 C.p.c. distingue les jugements qui peuvent faire l’objet d’un appel de plein droit de ceux qui nécessitent une permission d’appeler. Le paragraphe 3 du second alinéa de cet article énonce que les jugements qui rejettent une demande en justice en raison de son caractère abusif ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur permission. Qu’en est-il de l’expression « demande en justice »? Vise-t-elle tous les actes de procédure déclarés abusifs dans lesquels une demande quelconque est formulée, ou bien se limite-t-elle aux demandes introductives d’instance ainsi qu’aux demandes reconventionnelles? Dans l’affaire Matte c. Blais, la Cour d’appel était saisie de cette question et a jugé que seuls les jugements rejetant une demande introductive d’instance ou une demande reconventionnelle en raison de leur caractère abusif étaient visés par l’exigence d’obtenir une permission d’appeler.

Pour arriver à cette conclusion, la Cour s’est appuyée sur le « principe moderne » d’interprétation législative en droit canadien, comme tel est le cas dans toute question d’interprétation d’une loi. Dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e édition, 1983), E. A. Driedger a notoirement formulé le principe en les termes suivants : « [TRADUCTION] il faut interpréter les termes d’une loi dans leur contexte global selon le sens grammatical et ordinaire qui s’harmonise avec l’économie et l’objet de la loi et l’intention du législateur. »[1]

Quant à l’objectif du législateur en adoptant la disposition en question, la Cour a d’abord rappelé ce qu’elle-même et d’autres tribunaux ont décrété à quelques reprises par le passé, soit que « l’objectif poursuivi par l’imposition de cette exigence est d’éviter que l’abus constaté par le tribunal se poursuive par le dépôt d’une inscription en appel qui, de surcroît, a généralement un effet suspensif. »[2] Alors que l’ancien C.p.c. était toujours en vigueur, la Cour d’appel, sous la plume de l’honorable André Rochon siégeant comme juge unique, avait mentionné que l’ajout de cette disposition était « en lien direct » avec l’adoption des articles ayant introduit le pouvoir des tribunaux de sanctionner les abus de la procédure. Selon le juge Rochon, cet ajout « s’imposait dans la logique législative, particulièrement pour éviter que l’abus [décrété en première instance] se perpétue par une inscription en appel de plein droit. »[3]

La Cour a poursuivi son exercice d’interprétation en soulignant qu’il serait tentant, à cette étape, de conclure que l’objectif poursuivi par cette disposition justifierait d’accorder une interprétation large et libérale à la notion de « demande en justice » pour qu’elle vise tous les actes de procédure déclarés abusifs dans lesquels une demande quelconque est formulée. La Cour a constaté que ceci permettrait aux tribunaux « de contrôler l’exercice du droit d’appel dès lors qu’un acte de procédure est déclaré abusif et, partant, pourrait éviter la poursuite de l’abus constaté par le juge d’instance. »[4] Autrement dit, une telle interprétation serait conforme à l’objectif poursuivi par le législateur en introduisant cette disposition.

Rappelons, à cet égard, que l’objectif du législateur de sanctionner les abus en adoptant l’article 30, al.2(3°) ainsi que les articles 51 et suivants du C.p.c. s’inscrit dans la mission des tribunaux d’assurer l’application du principe de proportionnalité, lequel est dorénavant consacré, à l’article 18 C.p.c., au rang des principes directeurs de la procédure civile et reconnu par la jurisprudence comme étant une « métanorme » ayant une force, une valeur et une influence supérieure aux autres principes du C.p.c. Le commentaire de l’Honorable Karakatsanis dans Hryniak v. Mauldin à l’effet que « […] les règles régissant les jugements sommaires doivent recevoir une interprétation large et propice à la proportionnalité […] » semble d’ailleurs trouver écho en l’espèce.[5] En effet, bien que le Québec ne prévoie pas dans ses règles de procédure civile, à l’instar des autres provinces, un mécanisme de jugement sommaire, la Cour suprême a mentionné au passage que les articles 54.1 et suivants de l’ancien C.p.c. (aujourd’hui 51 et suivants C.p.c.) consistent, au même titre que le jugement sommaire, en un mécanisme procédural pour écarter sommairement les demandes abusives. Puisqu’il se rattache au pouvoir des tribunaux de sanctionner les abus de procédure, l’article 30, al.2(3°) C.p.c. semblerait donc tout autant visé par les propos de l’Honorable Karakatsanis et l’on pourrait soutenir qu’il aurait, de ce fait, été approprié de lui accorder une « interprétation large et propice à la proportionnalité ».

Or, après s’être attardée à l’économie de la loi – c’est-à-dire aux liens entre ses différentes dispositions – la Cour a jugé que l’intention du législateur était de soumettre uniquement les jugements déclarant les demandes introductives d’instance et les demandes reconventionnelles abusives à la nécessité d’obtenir une permission d’appeler. S’appuyant sur un argument de cohérence de la loi, soit le principe de l’uniformité d’expression voulant que l’on puisse présumer que le législateur exprime systématiquement la même idée dans les mêmes termes, la Cour a conclu que le législateur avait « accord[é] aux mots demande en justice une signification précise et limitée, qui permet de distinguer celle-ci des autres actes de procédure. »[6] Pensons notamment à l’article 51 C.p.c. où le législateur réfère non pas uniquement aux demandes en justice – comme le fait l’article 30, al.2(3°) –, mais bien aux demandes en justice et autres actes de procédure lorsqu’il octroie aux tribunaux le pouvoir de déclarer ces derniers abusifs. La Cour d’appel a donc mis en œuvre un principe d’interprétation bien établi, assurant par le fait même la cohérence interne du C.p.c.

__________________________________

[1] Matte c. Blais, 2019 QCCA 978, paragr. 11.
[2] Elmer A. DRIEDGER, The Construction of Statutes, 2nd ed., Toronto, Butterworths, 1983, p. 87.
[3] Pogan c. Benaroche, 2010 QCCA 621, paragr. 13.
[4] Matte c. Blais, 2019 QCCA 978, paragr. 12.
[5] Hryniak v. Mauldin, 2014 SCC 7, paragr. 5.
[6] Matte c. Blais, 2019 QCCA 978, paragr. 18.

 

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