Victime par ricochet et la prescription de six moi prévue à la Loi sur les cités et villes
La sœur, la belle-mère et le père d’une personne décédée en raison, avancent-ils, d’une faute de la Ville de Montréal, intentent leur action contre celle-ci plus de six mois après le décès. Est-ce à bon droit qu’ils soutiennent fonder leur recours sur l’obligation de la Ville de réparer le préjudice corporel causé à autrui, assujettissant du même coup celui-ci à la prescription triennale prévue à l’article 2930 du Code civil du Québec (« CcQ »)?
C’est à cette question que la Cour d’appel devait répondre dans Dorval c. Montréal (Ville de). Celle-ci, s’appuyant sur une analyse sémantique des notions de dommage, préjudice et dommages – qui fait ressortir la double signification du terme préjudice – fait droit à l’appel, confirmant l’application de l’article 2930 CcQ aux victimes par ricochet du préjudice corporel subi par autrui.
Au cœur de son analyse, la substitution de la notion de préjudice, qui se retrouve à 1457 CcQ, à celle de dommage, qui figurait à l’article 1053 du Code civil du Bas-Canada :
[35] L’obligation de réparer le dommage causé à autrui (C.c.B.-C., art. 1053) demeure dans le nouveau Code malgré le vocable préjudice substitué à celui de dommage. Ainsi, à l’article 2930 C.c.Q. qui renvoie à l’obligation de réparer le préjudice corporel, où le terme préjudice signifie le dommage et non le préjudice qui en est la répercussion.
[36] La responsabilité civile oblige à indemniser toutes les victimes de sa faute. Ici, le décès reproché à la Ville constitue un préjudice corporel dont les Appelantes sont aussi des victimes qu’elle doit donc indemniser.
[37] Et, corollaire obligé, l’action des Appelantes contre la Ville est fondée sur « l’obligation de réparer le préjudice corporel causé à autrui ».
[38] En conséquence, l’exception de 2930 C.c.Q. trouve ici application.
La Cour se livre alors à une étude de la jurisprudence en matière de réclamation pour préjudice corporel par ricochet, qui vient avaliser la catégorisation du préjudice selon sa source, et non plus sa nature.
Les appelants fondant leur recours sur un préjudice tirant sa source d’une atteinte à l’intégrité physique – indéniablement un préjudice corporel – et considérant d’autre part l’obligation faite à quiconque d’indemniser les victimes du préjudice causé par sa faute, l’action des appelants est donc fondée sur l’obligation qui est faite à la Ville de Montréal de réparer le préjudice corporel causé à autrui au sens de 2930 CcQ, d’où la prescription triennale.
[74] Si l’on s’en tient à la nature – et non à la source – du préjudice subi par les proches de la victime décédée, bien sûr qu’elles ne subissent aucun préjudice de nature corporelle puisque leur propre intégrité physique n’est nullement atteinte. Par contre, si l’on distingue dommage et préjudice, on constate que leurs préjudices – de nature matérielle ou morale – sont la répercussion du décès de leur parente, et donc, elles sont victimes du dommage corporel causé à celle-ci, ou du préjudice corporel causé à celle-ci, selon le nouveau vocable.
[75] Je n’ose écrire que les Appelantes subissent un « préjudice corporel », car la jonction de ces deux mots nous renvoie instantanément à la nature du préjudice et non à sa source alors que l’expression « victimes d’un préjudice corporel » laisse place au lien entre le préjudice et sa source, selon la nouvelle classification.
Le recours des appelants n’était donc pas prescrit au moment de son dépôt.