
Une réclamation fondée sur les critères de l’article 54.1 C.p.c. ne peut être introduite que devant l’instance où s’est produit l’abus
C’est la conclusion à laquelle parvient la Cour d’appel dans Lavigne c. Municipalité de Val-des-Monts (2017 QCCA 1125).
Les faits sont relativement simples : les Appelants exploitent un commerce de pneus et pièces d’autos dans la municipalité Intimée. En juin 2010, cette dernière leur signifie une requête introductive d’instance les avisant d’un règlement de zonage prohibant toute activité commerciale sur le territoire occupé par leur entreprise.
Les Appelants sont prêts à obtempérer et déménager leur commerce, mais ils ont besoin de temps pour ce faire. L’intimée accepte de leur accorder un délai d’un an pour déménager, en retour de quoi ces derniers signent un acquiescement à jugement. Le 11 juillet 2011, la Cour supérieure rend jugement sur la base de l’acquiescement, et donne aux Appelants jusqu’au 15 juin 2012 pour fermer leur commerce.
Or, dans les faits, les Appelants continueront d’exploiter leur commerce jusqu’en octobre 2013, malgré le jugement rendu sur acquiescement. Forte des conclusions de ce jugement, l’Intimée entreprend des procédures d’outrage au tribunal et obtient, en février 2014, une condamnation de 750$ contre chacun des Appelants.
En mai 2014, l’Intimée dépose une demande introductive d’instance devant la Cour du Québec réclamant des Appelants le remboursement de la somme de 9 471,31$, qui représente les honoraires extrajudiciaires encourus pour mener à bien la procédure d’outrage au tribunal. Le 16 juillet 2015, la juge Patsy Bouthillette accueille la demande de l’intimée. C’est de cette décision dont il est fait appel.
Dans son analyse, la Cour d’appel considère que la juge Bouthillette a erré en droit en appliquant, à tort, la grille d’analyse propre à l’article 54.1 C.p.c., mais également en faisant un amalgame mal avisé entre abus sur le fond et abus de procédure, le tout dans le cadre d’une procédure introductive d’instance introduite devant une nouvelle instance :
[38] Pour prendre appui sur ces dispositions législatives [NDLR : articles 54.1 C.p.c. et suivants], c’est au cours du déroulement du dossier concerné et à la cour qui en est saisie qu’une partie doit présenter sa demande d’indemnisation. En l’espèce, si tant est qu’elles puissent être appliquées, c’est à la Cour supérieure, à l’occasion du dossier d’outrage au tribunal, que l’intimée aurait dû présenter sa demande, ce qu’elle n’a pas fait.
[39] N’étant saisie d’aucun dossier relevant de sa compétence au sein duquel se trouvait une demande en justice ou un autre acte de procédure émanant des appelants et à qualifier selon les articles précités, la Cour du Québec ne pouvait utiliser la grille d’analyse énoncée à ces articles aux fins de décider du recours entrepris.
[40] Or, en utilisant cette grille d’analyse, la juge a commis une erreur irrémédiable quant au fardeau de preuve. Plutôt que de faire reposer le fardeau de prouver une faute, un dommage et un lien de causalité entre la faute et le dommage sur l’intimée (selon les règles usuelles de la responsabilité civile), elle s’est satisfaite d’une démonstration sommaire du droit allégué.
[41] Saisie d’une requête introductive d’instance en responsabilité civile où la source de responsabilité alléguée était le comportement des défendeurs [des appelants] devant un autre forum, la juge devait analyser la demande selon les critères de la responsabilité civile délictuelle (faute, dommage et lien de causalité) et en appliquant la norme voulant que le fardeau de la preuve repose entièrement sur la partie réclamante.
Mais il y a plus. La Cour d’appel considère en effet que la juge Bouthillette se méprend sur les critères propres au recours en outrage au tribunal, et à sa nature quasi-criminelle. Pour la Cour d’appel, la juge Bouthillette reproche essentiellement aux Appelants de n’avoir plaidé coupable à l’outrage que le matin de l’audition, assimilant en quelque sorte le silence de ceux-ci à de l’abus de procédure. Perplexe, la Cour d’appel s’interroge :
[47] Pourquoi donc la juge condamne-t-elle les appelants à rembourser les honoraires extrajudiciaires engagés dans le dossier d’outrage au tribunal en raison, écrit-elle, d’« un usage excessif et déraisonnable de leur droit de contester devant les Tribunaux »?
[48] En fait, ce n’est pas vraiment pour avoir commis un abus de procédure dans le dossier d’outrage au tribunal que la juge les condamne, mais en raison de leur comportement général à l’égard du conflit qui les oppose à l’intimée au sujet de l’exploitation d’un commerce au 66, chemin Létourneau, alors qu’elle constate ceci :
• les appelants n’ont pas respecté la parole donnée, soit leur engagement de cesser d’exploiter leur commerce au 66, chemin Létourneau au plus tard le 15 juin 2012 (paragraphes 18 à 36, 38, 40 à 45 du jugement dont appel);
• les appelants ont forcé l’intimée à débourser des honoraires pour obtenir l’exécution du jugement de la Cour supérieure par voie d’outrage au tribunal, alors que ce dernier avait pourtant été rendu à la suite d’un acquiescement (paragraphe 45 du jugement dont appel); et
• les appelants, en enregistrant des plaidoyers de non-culpabilité à la suite de leur citation à comparaître sur outrage au tribunal, ont retardé le dénouement de cette demande en justice, ce qui leur a permis de profiter du passage du temps jusqu’au matin du procès et de continuer à exploiter leur commerce pendant de nombreux mois au-delà de l’échéance convenue du 15 juin 2012 (paragraphes 37, 39, 45, 46 et 51 du jugement dont appel).
[49] S’il est vrai que les appelants n’ont pas respecté la parole donnée, cela ne saurait justifier la juge de retenir ou de conclure à un abus de procédure au dossier d’outrage au tribunal en entremêlant abus de procédure et abus sur le fond du conflit.
Au final, si tant est que les articles 54.1 C.p.c. aient été applicables, c’est dans le cadre de l’instance d’outrage que l’Intimée aurait dû demander le remboursement des honoraires extrajudiciaires encourus, ce qu’elle n’a pas fait.