
Une condition essentielle de plus en matière d’appels d’offres publics
L’arrêt de la Cour d’appel, Municipalité de Val-Morin c. Entreprise TGC inc.[1], soulève et répond à plusieurs questions intéressantes en matière d’appels d’offres publics.
En juin 2010, l’appelante, Municipalité de Val-Morin (« Val-Morin »), lance deux appels d’offres publics pour la réfection d’une rue et d’infrastructures municipales. L’intimée, Entreprise TGC inc. (« TGC »), répond à ces deux appels d’offres. Il est acquis que TGC est la plus basse soumissionnaire. Cela ne suffit toutefois pas — est-elle également conforme?
Val-Morin conclut par la négative et rejette les soumissions de TGC puisque cette dernière a omis d’indiquer, à certains endroits, un prix unitaire proportionné au coût des travaux. Val-Morin octroie ainsi les contrats à deux autres entreprises.
TGC poursuit Val-Morin pour la somme de 539 782,39 $, majoritairement pour perte de frais d’administration et de profits sur les contrats non obtenus.
En première instance[2], Val-Morin est condamnée à payer 372 529,41 $ à TGC. L’honorable Pierre Nollet, j.c.s. conclut notamment que le motif invoqué par Val-Morin pour rejeter les soumissions de TGC n’était pas valable et que la condition – soit l’indication du prix unitaire proportionné au coût des travaux – n’était pas une condition essentielle du « contrat A », soit le contrat entre le maître d’ouvrage et chacun des soumissionnaires dès la présentation de leurs soumissions.
Par ailleurs, le juge conclut que Val-Morin, bien qu’ayant la discrétion de rejeter les soumissions de TGC sur la base de leur non-respect, n’a pas exercé cette discrétion de bonne foi. Les contrats auraient donc dû être accordés à TGC.
Le juge de première instance octroie des dommages équivalant à la différence de profit entre ceux que TGC aurait eus avec les contrats de Val-Morin et ceux qu’elle a effectivement eus avec les contrats obtenus de tiers en remplacement de ceux de Val-Morin.
Val-Morin se pourvoit et la Cour d’appel accueille l’appel.
D’une part, la Cour d’appel retient les explications de Val-Morin quant à l’importance de l’indication des prix unitaires proportionnés dans ce type d’appels d’offres, qui en font ainsi une condition essentielle du contrat. La Cour d’appel est particulièrement sensible à l’utilité de ces prix unitaires comme outil permettant aux municipalités de prévenir la collusion dans les contrats publics.
D’autre part, même si cette condition n’était pas essentielle, Val-Morin aurait correctement exercé sa discrétion de ne pas octroyer les contrats à TGC. L’approche adoptée par le juge de première instance en matière de responsabilité d’une municipalité dans le cadre d’appels d’offres publics est erronée. Puisque la responsabilité s’évalue au moment de l’ouverture des soumissions, l’analyse doit être effectuée en prenant en compte l’information que la municipalité avait en main lorsqu’elle a pris la décision en question. Il n’est ainsi pas pertinent de s’en remettre aux informations fournies après coup, lors du procès, par un soumissionnaire insatisfait.
Par ailleurs, la Cour d’appel fait un rappel important sur la question des dommages en cette matière :
[11] Dans le contexte des appels d’offres, les tribunaux accorderont le profit manqué réclamé pour la perte d’un contrat s’il existe une preuve suffisante et concluante à ce sujet et, à défaut, ils évalueront la moyenne des profits en se fondant sur les profits de l’entreprise au cours des années antérieures. Le juge n’est pas lié par l’indication de profit mentionné dans la soumission. « Il ne s’agit pas d’accorder le montant que la partie espérait réaliser [lors du dépôt] de sa soumission, mais bien celui qu’elle aurait de facto tiré de l’exécution de ce contrat si celui-ci lui avait été octroyé ». Comme le souligne la Cour, « [l]a preuve de profit que l’on “aurait pu réaliser”, n’eût été la faute d’un tiers, est toujours un peu spéculative puisqu’elle se fonde sur des projections et sur des résultats subséquents ». Par contre, une preuve admissible et probante est nécessaire, sinon l’exercice devient arbitraire.
[références omises]
La Cour insiste aussi sur la nécessité pour un demandeur de prouver ses dommages, et ce, même en l’absence de toute preuve contraire. En effet, la Cour d’appel ne voit pas, quant à l’arrêt Acier Mutual c. Fertek inc.[3], la même distinction que celle retenue par le juge Nollet. La Cour conclut qu’il n’est tout simplement pas suffisant qu’un témoin ordinaire présente un tableau résumant les pertes de profits de la compagnie pour prouver ces dommages.
___________________________________________________
[1] 2019 QCCA 405.
[2] Entreprise TGC inc. c. Municipalité de Val-Morin, 2017 QCCS 2616
[3] 1996 CanLII 6319 (QC CA)