
Un ex-maire reconnu coupable de fraude doit-il rembourser à la Ville ses allocations de départ totalisant 267 923,90 $ ou la délicate question de la rétroactivité des lois
Les faits du présent dossier[1] sont assez simples. Le défendeur, M. Michael Applebaum est un élu municipal bien connu dans le paysage politique montréalais où il évolue de 1994 à 2013. En juin 2013, alors qu’il est maire intérim de la Ville de Montréal, il est arrêté à son domicile sur des soupçons de corruption et doit rapidement démissionner de son poste.
Dans le cadre de son départ, il reçoit de la Ville une allocation de départ de 108 204,90 $ et une allocation de transition de 159 719 $, selon les dispositions pertinentes de la Loi sur le traitement des élus municipaux (« LTEM »).
En 2017, il est déclaré coupable de fraude envers le gouvernement, d’abus de confiance, d’actes de corruption et de complots visant à commettre des actes criminels pour des actes posés entre 2006 et 2011, ces actes sont passibles d’un emprisonnement de cinq ans.
Entre temps, la LTEM a été amendée en décembre 2016 afin de prévoir le remboursement de l’allocation de transition reçue par un élu municipal qui a ensuite été déclaré coupable de certaines infractions, incluant un acte punissable de deux ans ou plus d’emprisonnement. En avril 2018, la LTEM est encore une fois amendée pour prévoir les mêmes modalités de remboursement de l’allocation de départ.
La Ville de Montréal poursuivait ainsi M. Applebaum pour obtenir le remboursement des deux allocations qu’elle lui avait versées. De son côté l’ancien maire contestait la demande au motif que les modifications de la LTEM n’étaient pas rétroactives.
Le Tribunal a donc dû se pencher sur la délicate question des effets rétroactifs d’une nouvelle disposition législative alors que celle-ci ne prévoit pas de dispositions transitoires.
Dans le présent dossier, la Ville souhaitait voir appliquer aux modifications de la LTEM un effet rétrospectif, c’est-à-dire une loi qui se fonde sur des agissements passés mais a uniquement un effet sur le futur. Ce qui est différent d’un effet rétroactif, où la loi a également un effet sur les transactions passées. Comme pour la présomption de non-rétroactivité, il existe également une présomption de non-rétrospectivité des lois. Celle-ci sera en vigueur lorsque des modifications législatives ont un effet ou une conséquence défavorables futurs sur les justiciables en raison de leurs agissements avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.
Ainsi, le fait pour la Ville de demander le remboursement d’allocations reçues (conséquence négative future) avant l’adoption des modifications législatives, pour des actes commis avant ces même modifications (agissements antérieurs), donne aux nouvelles dispositions de la LTEM un effet rétrospectif.
La Cour explique que la présomption de non-rétrospectivité pourra être repoussée lorsque les modifications législatives visent la protection du public. En effet, lorsque de telles modifications visent à assurer la protection du public, la présomption de non-rétrospectivité de la loi est repoussée et la nouvelle loi sera applicable peu importe à quel moment les agissements antérieurs ont été commis.
En revanche, lorsque la modification législative constitue l’aggravation d’une punition pour avoir commis certains actes, « alors la présomption contre l’effet rétrospectif jouera et empêchera l’application de cette nouvelle conséquence à moins que le législateur, expressément ou implicitement, ait clairement indiqué son intention de donner une application rétrospective à sa loi. »[2].
La Cour conclut ensuite que les modifications à la LTEM forçant l’élu municipal à rembourser les allocations reçues ne vise pas la protection du public comme tel, mais constituent plutôt une mesure punitive additionnelle. La Cour souligne que l’exception au principe de non-rétrospectivité des lois basée sur la protection du public doit être interprétée de manière étroite, puisque dans l’absolu toutes les lois pourraient viser cet objectif, et ce conformément aux enseignements récents de la Cour suprême[3].
Ayant déterminé que les modifications à la LTEM ne visaient pas la protection du public, la Cour conclut que la présomption de non-rétrospectivité des lois est ici applicable et que la Ville ne pouvait valablement demander à M. Applebaum de rembourser les allocations reçues en vertu de lois qui n’étaient pas en vigueur au moment où lesdites allocations furent versées.
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[1] Ville de Montréal c. Applebaum, 2020 QCCS 87 (CanLII)
[2] Préc., para. 34.
[3] Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50 (CanLII), [2017] 2 RCS 289