Un congédiement bref et inattendu donne droit à des dommages moraux
Dans la récente décision Sylvain Blais c. Aéroport de Québec[i], la Cour supérieure devait qualifier le congédiement d’un cadre de haut niveau, remercié huit mois après son embauche. La durée indéterminée du contrat étant admise, la principale question dont la cour demeurait saisie concernait le « motif sérieux » allégué par l’employeur. Tandis que le défendeur soutenait que Blais n’avait pas rencontré les exigences fixées, notamment en raison d’importants retards encourus dans l’exécution de ses tâches, ce dernier plaidait une surcharge de travail liée à la nouveauté du poste et à des difficultés organisationnelles.
L’honorable juge Catherine La Rosa (j.c.s) conclut, en aval d’un rappel fort utile[ii] sur les circonstances donnant ouverture à la résiliation unilatérale sans préavis[iii], que l’employeur n’a pas rencontré son fardeau et ne peut donc s’en prévaloir. Elle est d’avis que le défaut de rencontrer les échéances fixées par l’employeur ne constitue pas un motif sérieux puisque Blais n’a pas bénéficié d’un support adéquat. La juge La Rosa ajoute que les attentes de l’employeur envers le demandeur étaient imprécises et irréalistes et que l’unique mise au point sur sa performance ne laissait pas présager la rupture du lien d’emploi.
[62] En bref, l’Aéroport n’a pas formulé à Blais, de façon claire, son insatisfaction au point que Blais perçoive chez l’employeur une menace quant à la survie de son emploi.
[63] Ajoutons que l’employeur doit fournir au salarié le support nécessaire à l’exercice de sa tâche. Or la preuve révèle que l’Aéroport n’a pas rempli cette obligation à l’endroit de Blais qui est laissé à lui-même. Malgré les appels au soutien de Blais, Bilodeau demeure passif. Il accepte toutefois, une fois Blais congédié, de scinder la tâche, reconnaissant implicitement que les plaintes de Blais relativement à la surcharge de travail étaient fondées.
[64] En somme, l’employeur qui fait montre d’attentes imprécises à l’endroit du salarié, qui fait défaut de soulever de façon claire les lacunes de ce dernier et qui refuse de lui fournir le support nécessaire pour exécuter adéquatement les tâches confiées ne peut mettre fin au contrat de travail sans verser un délai-congé suffisant.
Concluant donc que la résiliation donnait droit à un délai de congé raisonnable, le tribunal procède ensuite à l’analyse contextuelle permettant sa détermination. Il considère notamment l’âge du demandeur, la relative rareté d’emplois semblables sur le marché du travail et le fait que l’employeur avait fait miroiter la perspective d’un emploi à long terme pour finalement octroyer une indemnité correspondant à douze mois de salaire.
La décision revêt un intérêt particulier au stade de la réclamation pour dommages-moraux. Le demandeur réclamait 65 000$ au surplus de son délai de congé, alléguant le comportement fautif de l’employeur dans l’exercice de son droit de résiliation. La juge De Rosa rappelle que, conformément aux principes bien établis par la jurisprudence, les dommages-moraux nécessitent la démonstration d’une « faute caractéristique distincte de l’acte de congédier »[iv] et, estimant que les faits de l’affaire rencontrent ce seuil, et octroie 20 000$ au demandeur.
[94] En l’espèce, le Tribunal est d’avis que le comportement de l’employeur lors du congédiement de Blais constitue une conduite fautive. Il n’avait jusqu’alors jamais été question de la possibilité que ses performances soient insatisfaisantes au point de justifier son renvoi. À l’inverse, lors de la réunion du comité d’audit et de gestion des risques du 17 février 2011, son excellent travail dans la préparation du dossier d’audit annuel 2010 est souligné. Un simple appel téléphonique de l’employeur un dimanche après-midi, alors que l’employé est en congé, chez lui, aucunement préparé à recevoir la nouvelle de son congédiement, ne représente pas une conduite acceptable de la part de l’Aéroport.
[95] Un tel comportement entraine inévitablement de l’humiliation et une importante angoisse. D’ailleurs, Blais a été mis en arrêt de travail par son médecin à la suite de la fin de son emploi. Trahi et sous le choc de cette brusque annonce faite très rapidement et sans aucune préparation, Blais a subi un préjudice qui excède celui qui découle normalement d’un congédiement.
[96] L’argument de Bilodeau comme quoi il se voit obligé d’agir ainsi compte tenu de l’impossibilité de rencontrer Blais le lundi vu la tenue d’une réunion à laquelle il ne veut pas que Blais assiste, vu la tournure des événements, ne tient pas. Le respect élémentaire aurait justifié une rencontre formelle avant ou après le 17 avril 2011. Absolument aucune raison ne peut justifier un tel traitement empreint de non-respect à l’endroit d’un employé. Certes, l’employeur peut mettre fin au contrat de travail en tout temps, mais il se doit d’agir de bonne foi, de façon courtoise et respectueuse. Cette attitude est non seulement inexistante en l’espèce, mais constitue un comportement fautif de la part de l’Aéroport.
Ce raisonnement étonne quelque peu puisque la performance de l’employé et la prévisibilité de son congédiement appartiennent davantage à l’analyse des motifs de résiliation qu’à celle de ses modalités. De plus, il est bien établi que les troubles et inconvénients justifiant l’octroi dommages moraux doivent surpasser les aléas intrinsèques à tout congédiement, lesquels sont dument compensés par l’indemnité de fin d’emploi.[v] Il est donc regrettable que la décision ne détaille pas davantage en quoi le préjudice de Blais se situe au-delà de cette norme.
[i] 2016 QCCS 1563
[ii] Paras 43-50 du jugement
[iii] 2094 C.c.Q
[iv] Brystol-Myers Squibb Canada inc. c. Legros 2005 QCCA 48
[v] Standard Broadcasting c. Stewart, [1994] R.J.Q. 1751, p. 1760 et s.