Pouvoirs de l’ARQ : validité d’une demande péremptoire envoyée à une succursale de banque en Alberta
Dans l’arrêt 1068754 Alberta Ltd. c. Agence du revenu du Québec[1], la Cour d’appel se prononce sur la validité d’une demande péremptoire envoyée par l’Agence du revenu du Québec (« ARQ ») à une succursale albertaine de la Banque Nationale du Canada (« BNC »).
L’appelante, 1068754 Alberta Ltd. (« Alberta Ltd. »), est une société albertaine et l’unique fiduciaire de la fiducie DGGMC Bitton Trust (« DGGMC »). DGGMC détient quant à elle un compte bancaire auprès de la BNC ouvert dans une succursale albertaine de cette banque.
Soupçonnant que la gestion et le contrôle de DGGMC s’exercent au Québec, l’intimée, l’ARQ, mène une vérification de DGGMC en vertu de la Loi sur les impôts[2]. En effet, si les soupçons de l’ARQ sont confirmés, cela pourrait faire de la DGGMC une résidente du Québec devant y verser des impôts.
En vertu de ses pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 39 de la Loi sur l’administration fiscale (« L.A.F. »)[3], L’ARQ envoie donc à la succursale albertaine de la BNC une demande péremptoire pour la communication de diverses informations et documents ayant trait à l’information bancaire de DGGMC.
BNC fait suite à cette demande et transmet à l’ARQ les documents demandés. Toutefois, Alberta Ltd. intente une requête introductive d’instance visant notamment à faire déclarer nulle la demande péremptoire. Les documents transmis par la BNC sont donc mis sous scellés en attendant l’issue du recours.
Le juge de première instance rejette la requête d’Alberta Ltd. au motif que la demande péremptoire de l’ARQ n’est pas déraisonnable ni abusive et n’est pas ultra vires de ses pouvoirs. D’une part, conclut le juge, bien que la demande péremptoire doive être transmise par l’ARQ à la succursale spécifique qui détient le compte bancaire de DGGMC en raison de l’application de l’article 462(2) de la Loi sur les banques[4], il n’en demeure pas moins que l’avis ainsi transmis est donné à la BNC dans son ensemble, et non seulement à la succursale albertaine. Il n’y a donc pas, à cet égard, d’effet extraterritorial à la demande péremptoire puisque la BNC fait affaire au Québec et y a son siège social.
D’autre part, la demande péremptoire ne constitue pas une saisie et rien ne s’oppose à ce qu’une telle demande puisse être transmise à une succursale située à l’extérieur du Québec. De surcroit, le juge de première instance souligne que le pouvoir de vérification et de requérir des informations et documents constitue un accessoire au pouvoir de taxation de l’ARQ.
La Cour d’appel en vient au même résultat que la Cour supérieure, et rejette l’appel d’Alberta Ltd. Toutefois, le raisonnement de la Cour d’appel diffère à quelques égards de celui du juge de première instance.
Dans ses motifs, la juge Hogue entreprend son analyse par un rappel quant au pouvoir de taxation des provinces et de l’interprétation large et libérale de ce pouvoir donnée par la jurisprudence. Elle souligne avec justesse que le système de taxation québécois étant un régime d’autodéclaration et d’autocotisation, l’ARQ possède également un pouvoir de vérification, qui s’illustre notamment par l’article 39 de la LAF.
La Cour d’appel applique ensuite à l’article 39 de la L.A.F. l’analyse suivante développée sous son pendant fédéral, soit l’article 231.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu :
« La demande péremptoire qu’il autorise constituera donc une saisie lorsque les documents et les renseignements requis par elle seront de ceux à l’égard desquels un contribuable entretient une attente raisonnable au respect de sa vie privée. »[5]
Appliquant cette analyse aux faits, la Cour d’appel conclut qu’en l’espèce, la demande péremptoire constitue une saisie puisque les documents bancaires demandés sont susceptibles de contenir des renseignements sensibles sur la situation financière de DGGMC, ce qui représente un empiètement sur une attente au respect de la vie privée d’un particulier.
La Cour d’appel poursuit son analyse et distingue, à partir de l’article 462 de la Loi sur les banques, deux catégories de documents dont les conséquences y rattachés diffèrent.
Pour les documents de la première catégorie, soit ceux énumérés aux paragraphes (1) et (3) de l’article 462, ils devront, pour produire leurs effets, être signifiés à la succursale ayant la possession des biens ou du compte d’un client.
Toutefois, pour les documents de la seconde catégorie, bien que ceux-ci doivent également être envoyés à la succursale où se situent les comptes du client, le contenu de ces documents est réputé avoir été porté à la connaissance de la banque, et non seulement à celle de la succursale. D’ailleurs, le paragraphe 462 (2) de la Loi sur les banques ne fait que prescrire un mode particulier de communication de certains documents, mais ne confère pas de personnalité juridique distincte à la succursale.
La Cour d’appel conclut que la demande péremptoire envoyée par l’ARQ appartient à cette deuxième catégorie de documents et que de ce fait, la demande péremptoire est destinée à la BNC qui, rappelons-le, fait affaire au Québec et y a son siège social.
La Cour d’appel conclut que l’ARQ n’a donc pas exercé son pouvoir de taxation ou de vérification à l’extérieur du Québec ou de manière à excéder sa compétence et rejette l’appel sur cette base.
[1] 1068754 Alberta Ltd. c. Agence du revenu du Québec, 2018 QCCA 8 (« Alberta Ltd. »).
[2] RLRQ, c.I-3.
[3] RLRQ, c. A-6.0002.
[4] L.C. 1991, ch. 46.
[5] Alberta Ltd., paragr. 32.