L’hôtelier offrant des services de stationnement « park and fly » est-il responsable envers son client si la voiture de ce dernier s’envole (également) ?
Dans la récente affaire 3091‑5177 Québec inc. (Éconolodge Aéroport) c. Cie canadienne d’assurances générales Lombard, 2018 CSC 43, la Cour suprême du Canada devait décider si, d’une part, un hôtelier proposant des services de type « park and fly » était responsable des vols de deux voitures de voyageurs séjournant à l’étranger et, d’autre part, s’il était forclos de réclamer une indemnisation à son assureur pour ces sinistres, en raison d’une clause d’exclusion de garde d’objets de tiers.
La Cour suprême décide que l’hôtelier doit dédommager ses clients, sa négligence dans la sécurisation de son stationnement ayant permis les vols des voitures. Quant à la clause d’exclusion, la Cour est d’avis qu’elle ne trouve pas application en l’espèce, puisque les services de stationnements rendus par l’hôtelier ne créent pas une situation de dépôt ou de garde des véhicules.
Les lecteurs de ce blogue entretenant une double passion pour la mécanique et les voyages seront peut-être familiers avec la formule hotellière d’hébergement, stationnement et envol (communément nommés « park and fly »). Éconolodge Aéroport est un hôtel offrant une telle formule à proximité de l’Aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal. Sa vocation principale est d’accueillir les voyageurs avant leur départ pour l’aéroport et à leur retour de voyage. Au cours des hivers 2005 et 2006, les voitures de deux clients d’Éconolodge sont volées dans le stationnement de l’hôtel pendant leur séjour à l’étranger. Les larcins sont découverts au retour des plaisanciers.
Afin de déterminer la responsabilité civile d’Éconolodge, la Cour suprême doit d’abord déterminer le type de contrat nommé en cause. Celle-ci est d’avis qu’il s’agit d’un contrat de services d’hébergement, de stationnement et de navette. Il serait inapproprié de dissocier ces services, nous explique le juge Gascon, qui signe les motifs majoritaires, alors que c’est l’ensemble de l’offre qui est considérée par les clients et qui est publicisée par Éconolodge.
À titre de prestataire de services, l’hôtelier se doit d’agir au mieux des intérêts de ses clients et avec prudence et diligence. Éconolodge a violé cette obligation, nous indique la Cour, en ne prenant pas des mesures raisonnables afin de sécuriser son stationnement, et ce, à l’insu de sa clientèle : aucune mesure pour garder le stationnement ou pour l’interdire aux aigrefins n’avait été mise en place. La première juge avait par ailleurs conclu que cette absence de mesure avait permis les cambriolages, et donc qu’un lien causal suffisant avait été établi. La responsabilité de l’hôtelier est donc maintenue par la Cour suprême.
L’obligation de l’assureur d’indemniser son assuré, ici l’hôtelier ayant engagé sa responsabilité civile, constitue la seconde question soumise à la Cour. Lombard invoque une clause d’exclusion de garde, direction et gestion afin de refuser une indemnisation à Éconolodge. En effet, selon l’assureur, l’hôtelier devient gardien des véhicules lorsque ses clients lui remettent leurs clés afin de faciliter le déneigement du stationnement en hiver. Bien que la Cour ne traite pas de cette question, l’on présume qu’un contrat de dépôt (hôtelier ?) serait alors formé, suivant les articles 2280 et suivants du Code civil.
La Cour suprême rejette cet argument, raisonnant que le motif pour lequel les voyageurs remettent leurs clés à l’hôtelier marque la distinction entre la garde et la simple détention physique des véhicules. La simple autorisation de déplacer un véhicule pour déneiger le stationnement n’entraînerait pas l’obligation d’assurer son intégrité et sa préservation de manière générale. L’obligation de diligence et de prudence dans l’exécution de services de stationnement est donc l’obligation véritablement en cause dans cette affaire, plutôt qu’une obligation de garder et préserver un bien remis en dépôt. La clause d’exclusion de la police d’assurance ne s’applique donc pas, et Lombard doit indemniser Éconolodge pour les vols dont elle est responsable.
La Cour suprême conclut ses motifs en envoyant un message clair aux assureurs couvrant la responsabilité civile d’entreprises : une clause d’exclusion ne peut pas être appliquée d’une façon telle qu’elle rendrait inefficace la garantie offerte par l’assureur à son assuré. Ainsi, un assureur ne peut pas exclure les activités principales de son assuré en invoquant une clause d’exclusion spécifique. Une telle interprétation de la police d’assurance ferait perdre à ce contrat son équilibre et sa cause.
En l’espèce, le stationnement constitue une composante cruciale de la gamme de services offerts par Éconolodge en tant qu’hôtel de type « park and fly ». Lombard savait fort bien quelle était la formule commerciale d’Éconolodge et avait choisi d’assurer sa responsabilité civile pour ces activités en toute connaissance de cause.
Il faut donc conclure de cette aventure que les voyageurs et les voitures peuvent s’envoler… mais les polices d’assurance restent !