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Les règles de preuve du régime québécois de valeurs mobilières sont semblables à celles qui existent ailleurs au Canada

Les règles de preuve du régime québécois de valeurs mobilières sont semblables à celles qui existent ailleurs au Canada

Dans l’arrêt Amaya inc. c. Derome, 2018 QCCA 120, la Cour d’appel était appelée à se prononcer sur la possibilité d’ordonner la divulgation de la preuve avant l’autorisation d’un recours civil particulier en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières, RLRQ c V-1.1, « LVM ».

Contexte

Il faut savoir qu’en 2007 le législateur québécois a créé un recours civil particulier pour le marché secondaire des valeurs mobilières. Ce recours permet à un investisseur du marché secondaire qui intente une action en dommages-intérêts en raison d’un manquement au devoir d’information continue des dirigeants et/ou administrateurs de l’émetteur public, par exemple, des fausses déclarations ou des délits d’initiés, de bénéficier d’un fardeau de preuve allégé. Plus précisément, le demandeur n’aura pas à prouver qu’il s’est fié sur l’information erronée lorsqu’il a acquis ou cédé son titre.

L’exercice de ce recours civil particulier est soumis à une autorisation qui est octroyée si le tribunal estime que l’action est intentée de bonne foi et qu’il existe une possibilité raisonnable que le demandeur ait gain de cause, tel qu’énoncé par l’art. 225.4 de la LVM.

En l’espèce, les intimés, autrefois détenteurs d’actions d’Amaya, ont intenté, en vertu du régime particulier de l’art. 225.4 LVM, une action collective contre la compagnie elle-même, ainsi que certains de ses dirigeants et administrateurs. Le recours a été entrepris suite à l’annonce, par l’Autorité des marchés financiers, que des poursuites pénales avaient été déposées contre ces derniers pour délits d’initiés et infractions connexes.

Avant l’audition sur l’autorisation en vertu de l’art. 225.4 LVM, par le biais d’un avis de gestion, les intimés ont demandé à obtenir deux types de documents: 1) des documents non publics liés au stratagème de délits d’initiés (des protocoles internes sur les transactions boursières, des documents concernant la gouvernance corporative, les enquêtes et les sanctions, ainsi que des documents concernant le dirigeant accusé d’être à l’origine des délits d’initiés); 2) les polices d’assurance générale, erreurs et omissions, ainsi que celles concernant la conduite des dirigeants et administrateurs.

Jugement de première instance

Le juge de première instance a ordonné la communication des polices d’assurance et a conclu à la possibilité, en droit québécois, d’ordonner la communication d’autres éléments de preuve documentaire à ce stade, permettant aux intimés de soumettre une demande précise de documents, avec réserve de droit de réplique aux appelants.

Selon le juge de première instance, il serait inéquitable, d’une part, d’imposer au demandeur le fardeau de fournir une preuve suffisante des chances de succès de son action à l’étape de l’autorisation, et, d’autre part, de ne pas lui offrir une opportunité raisonnable d’obtenir une telle preuve par une demande de divulgation de preuve documentaire.

Le juge de première instance appuie son raisonnement sur des distinctions entre les régimes de valeurs mobilières au Québec et en Ontario, ainsi que sur le rôle supplétif du Code de procédure civile en cas de silence d’une loi, notamment en ce qui concerne le devoir de coopération et d’information qui existe entre les parties.

Arrêt de la Cour d’appel

La Cour d’appel accueille l’appel en partie. Elle permet la communication des polices d’assurances mais tranche que la divulgation d’éléments de preuve documentaire ne doit pas être ordonnée au stade de l’autorisation.

Permission d’appel

La Cour d’appel, sous la plume du juge Kasirer, remarque d’abord que la jurisprudence contradictoire sur la possibilité de porter en appel une décision rendue avant l’autorisation d’une action collective n’est pas applicable en l’espèce puisque le débat porte davantage sur les principes sous-tendant l’autorisation en vertu la LVM que sur l’autorisation d’une action collective.

La Cour décide ensuite qu’en raison de la nature substantive du jugement de première instance, la demande de permission d’appel est régie par l’art. 31 par. 2 C.p.c., qui concerne des jugements rendus en cours d’instance et non par l’art. 32 C.p.c. qui concerne les jugements en matière de gestion. Appliquant les critères de l’art. 31 C.p.c., la Cour considère que le préjudice financier causé aux appelants ainsi que les changements potentiels au processus d’autorisation établi par l’art 225.4 LVM justifient l’octroi de l’autorisation.

Communication de documents

La Cour déclare qu’ordonner la divulgation d’éléments de preuve documentaire au stade de l’autorisation irait à l’encontre de la politique législative sous-tendant l’article 225.4 LVM. Elle explique que l’objectif du mécanisme de filtrage de l’article 225.4 LVM est de protéger les émetteurs publics, les actionnaires innocents, les marchés, ainsi que les tribunaux, et non de protéger les actionnaires demandeurs. Le juge de première instance aurait donc erré en se prêtant à un exercice de pondération entre les intérêts des actionnaires demandeurs confrontés au mécanisme de filtrage et les intérêts des émetteurs publics.

Se référant, entre autres, aux débats parlementaires, la Cour enseigne que le régime particulier du recours civil des investisseurs du marché secondaire est tributaire de deux politiques législatives : celle qui vise à faciliter le recours de l’investisseur du marché secondaire lésé par des déclarations trompeuses, et celle qui vise à limiter les recours opportunistes (« strike suits ») et les coûts qui y sont associés. L’article 225.4 LVM relève de cette deuxième politique législative. Il en découle que le défendeur n’a pas l’obligation d’aider le demandeur à franchir le mécanisme de filtrage prévu à cet article, l’étape de l’autorisation n’étant pas un mini-procès.

La Cour souligne le fait que les règles du régime québécois étaient conçues pour être harmonisées avec la législation sur les valeurs mobilières des autres provinces, compte tenu notamment de la nature commune des marchés secondaires de valeurs mobilières au Canada. Selon la Cour, les divergences mineures qui peuvent exister ne peuvent affecter l’efficacité du mécanisme de filtrage dont le rôle est le même dans toutes les juridictions.

Se penchant sur l’argument lié au rôle supplétif du Code de procédure civile et notamment des dispositions portant sur la communication et la divulgation de la preuve, vu le silence de la LVM quant à la divulgation de documents au stade de l’autorisation, la Cour opine que la fonction supplétive du Code ne peut contrecarrer la politique législative d’un régime statutaire spécifique, la procédure étant servante de la justice.

Finalement, la Cour remarque qu’il appartient au juge saisi d’une demande d’autorisation en vertu de l’art. 225.4 LVM de tenir compte des limitations dans l’obtention de la preuve auxquelles fait face le demandeur à ce stade préliminaire.

Concernant les polices d’assurance, la Cour est d’avis que la présence ou l’absence d’assurance n’est pas pertinente à l’octroi de l’autorisation de l’art. 225.4 LVM et que donc la communication des polices pouvait être ordonnée pour des raisons pratiques, d’efficacité et de coopération entre les parties.

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