
Le Canada et les règles de succession au trône de Sa Majesté la reine
Le contexte : les règles de succession au trône britannique sont modifiées avec l’assentiment du Canada
Réunis à Perth en Australie en octobre 2011, les 16 chefs d’État du Commonwealth s’entendent pour proposer des modifications aux règles de la succession au trône britannique. L’Accord de Perth prévoit l’abrogation de la règle de primogéniture masculine selon laquelle le fils légitime le plus âgé du souverain a la priorité successorale au trône. Désormais, l’enfant le plus âgé du souverain, sans égard au sexe, est premier dans l’ordre de succession. L’Accord prévoit également l’abrogation de la règle qui interdit à une personne d’accéder au trône royal si son conjoint ou sa conjointe est de confession catholique romaine.
Le 13 décembre 2012, le gouvernement du Royaume-Uni dépose au Parlement britannique un Projet de loi qui intègre ces modifications. Avant d’adopter celui-ci, le Parlement britannique demande l’assentiment du Canada, comme le prévoit la convention constitutionnelle décrite au Statut de Westminster.
Le 31 janvier 2013, le gouvernement du Canada dépose le projet de loi de la Loi canadienne d’assentiment de 2013 qui reçoit la sanction royale le 27 mars 2013. Le 25 avril 2013, le Parlement britannique adopte dès alors la loi intitulée « Succession to the Crown Act » (la « Loi britannique de 2013 ») qui reçoit la sanction royale le 25 avril 2013.
La contestation : les appelants plaident l’inconstitutionnalité de l’assentiment donné par le Canada
Sans surprise diront certains, ce récit factuel entraîna une contestation constitutionnelle de la Loi canadienne d’assentiment de 2013. Par requête en jugement déclaratoire, les appelants demandent de déclarer inconstitutionnelle cette loi. L’essence de leur argument repose sur le syllogisme suivant : La Loi canadienne d’assentiment de 2013 n’a pas été adoptée conformément à la procédure de modification prévue à l’alinéa 41a) de la Loi constitutionnelle de 1982 qui s’imposait en l’instance. La Loi canadienne d’assentiment de 2013 devait être préalablement autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de chacune des assemblées législatives de chaque province.
La décision : la Cour d’appel, comme le juge d’instance, confirme la constitutionnalité de la Loi canadienne d’assentiment de 2013
La Cour d’appel, pour les motifs du juge Rancourt auxquels souscrivent les juges Kasirer et Gagnon, confirme avec beaucoup d’assentiment le jugement approfondi du juge Claude Bouchard, qui rejette la Demande en jugement déclaratoire. Les arguments avancés par les appelants sont minutieusement analysés puis rejetés par la Cour pour les motifs résumés ci-après.
i) Le principe de la symétrie monarchique est ancré dans la Constitution du Canada, mais les règles britanniques de la succession royale ne font pas partie de notre Constitution
Selon les appelants, les dispositions législatives britanniques portant sur la succession au trône royal sont intégrées ex proprio vigore (de leur propre chef) dans le droit constitutionnel canadien. Ainsi, le Canada posséderait ses propres règles de succession au trône. Leur intégration dans la Constitution du Canada signifie que toute modification auxdites règles exige le respect de la procédure de modification prévue dans la Loi constitutionnelle de 1982, une procédure non suivie en l’espèce. La Cour d’appel, comme le juge d’instance, rejette cette position.
Premièrement, ce ne sont pas les dispositions de lois britanniques traitant des règles de la succession au trône qui font partie de la Constitution du Canada, mais bien les principes sous-jacents à celles-ci. Ainsi, le principe de la symétrie monarchique selon lequel le monarque du Royaume-Uni est le monarque du Canada est bien ancré dans la Constitution canadienne. Il en va de même du principe de la reconnaissance d’une succession héréditaire établie par le Royaume-Uni.
Deuxièmement, Le Statut de Westminster de 1931 et le précédent causé par la Loi canadienne de 1937 qui a donné l’assentiment du Canada à la loi britannique relative à l’abdication du Roi Edward VIII n’ont pas eu pour effet d’intégrer les règles de succession dans la Constitution canadienne. La Cour estime que le recours à la procédure prévue à l’article 4 du Statut de Westminster (1931) en 1936 ne visait que la partie de la loi britannique relative à l’abdication du Roi Edward VIII et s’inscrivait dans un contexte particulier et urgent. Selon les deux instances, ce précédent exceptionnel n’a pas créé une modification à la Constitution du Canada. « Jamais le Parlement canadien n’a-t-il eu l’intention à cette occasion d’intégrer à même son droit interne les règles britanniques de la succession au trône », écrit la Cour (par. 83).
Le Roi Edward VIII avait provoqué à l’époque une crise constitutionnelle en demandant en mariage Wallis Simpson, une Américaine divorcée d’un premier époux et en instance de divorce de son second époux. Il a abdiqué la Couronne le 10 décembre 1936, qui a été reprise par son frère, George VI, le père de la Reine Élizabeth II.
Finalement, de l’avis de la Cour, les appelants ont tort de prétendre que les règles britanniques de la succession royale font partie de la « charge de Reine » protégée à l’alinéa 41a) de la Loi constitutionnelle de 1982. La Cour est d’avis que la « charge de Reine » vise les pouvoirs, le statut et le rôle constitutionnel du monarque dans la constitution canadienne et non les règles procédurales qui permettent à une personne d’accéder au trône. Les modifications aux règles britanniques de succession au trône ne sont donc pas visées par l’alinéa 41a) pour ce motif également.
ii) Les arguments subsidiaires sont infondés
La Cour a également rejeté, comme le juge d’instance les deux arguments subsidiaires des appelants. Ces derniers plaidaient que l’interdiction pour les catholiques d’occuper la charge de la Reine est discriminatoire et porte atteinte à la liberté de religion et au devoir de neutralité religieuse de l’État (la Loi britannique de 2013 maintient l’exigence faite au souverain du Royaume-Uni de se joindre à l’Église anglicane). Or, puisque la Loi britannique de 2013 n’est pas incorporée au droit canadien, la Cour conclut que la Charte canadienne ne peut s’y appliquer.
Suivant un raisonnement similaire, la Cour conclut que la Loi canadienne d’assentiment de 2013 n’a pas contrevenu à l’obligation de bilinguisme prévue par l’effet combiné des articles 18 de la Loi constitutionnelle de 1982 et 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, puisque la Loi britannique de 2013 n’a pas été incorporée en droit canadien. La présentation d’une version française officielle de cette loi n’était donc pas nécessaire.
Si certains se réjouissent de voir enfin abolie cette fameuse règle de primogéniture masculine, d’autres ont été déçus qu’une énième tentative d’ouvrir la Constitution canadienne soit déboutée. Pour terminer, je souligne le rappel historique fort intéressant de la succession, plutôt houleuse, des monarques au trône britannique, présenté aux paragraphes 30 à 37 de l’arrêt.
https://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/2019/2019qcca1826/2019qcca1826.pdf