L’article 1854 CcQ ne dispense pas le locataire d’établir que son préjudice résulte d’un vice ou d’une défaillance du bien loué
De l’avis du juge Chamberland, écrivant pour une Cour d’appel unanime, jamais auparavant la question du fardeau du locataire souhaitant se prévaloir de la garantie que lui confère l’article 1854 CcQ n’avait été posée aussi clairement que dans l’affaire 9192-2401 Québec inc. (Fabrication Pro-Fab) c. Villeneuve (Immeubles Jolika) 2018 QCCA 1143.
Rappel des faits : l’appelante Fabrication Pro-Fab est locataire d’une partie de l’immeuble de l’intimé. Le 26 mars 2010, un incendie détruit en grande partie l’immeuble. Les dommages causés à Fabrication Pro-Fab s’élèvent à 705 668,75$. L’appelante Compagnie d’assurance Missisquoi indemnise Fabrication Pro-Fab à hauteur de 369 776,81 $. L’une et l’autre des appelantes poursuivent ensuite l’intimé, l’une pour la balance de ses dommages, l’autre en recours subrogatoire.
En première instance, ni l’expert en demande, ni l’expert en défense ne parviennent à identifier la cause de l’incendie. Dans les circonstances, les appelantes soumettent que l’absence d’identification de la cause précise de l’incendie engage néanmoins la responsabilité de l’intimé en vertu de l’article 1854 CcQ
1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l’usage pour lequel il est loué, et de l’entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail.
Après analyse, la Cour d’appel rejette la position des appelantes, soulignant que l’article 1854 CcQ n’allait pas jusqu’à créer une présomption de faute ou de responsabilité du locateur en l’absence de preuve de vice ou de défaillance du bien loué :
[29] Le locataire qui veut s’appuyer sur l’article 1854 C.c.Q. pour engager la responsabilité du propriétaire doit tout d’abord établir que le préjudice résulte d’un vice ou d’une défaillance du bien loué ou de ses accessoires, ce qui comprend l’ensemble de l’immeuble dont le local loué ne constitue qu’une partie. À partir de là, vu l’obligation de résultat qui est la sienne, il appartiendra au propriétaire locateur de prouver la force majeure ou la faute d’un tiers pour la conduite duquel il n’est pas imputable.
[30] La garantie de bon usage prévue à l’article 1854 C.c.Q., deuxième alinéa, aussi exigeante soit-elle pour le locateur, ne va certes pas jusqu’à faire de ce dernier l’assureur tous risques du locataire lorsque ce dernier est incapable de prouver que sa perte résulte d’un vice ou d’un défaut de la chose louée.
[…]
[33] Mais encore faut-il que le locataire prouve que son préjudice résulte d’un vice, défaut ou défaillance du bien loué.
[34] L’article 1854 C.c.Q. établit les obligations de résultat (premier alinéa) et de garantie (second alinéa)7 du locateur à l’égard de son locataire en ce qui a trait au bon état des biens loués au début du bail et pendant toute sa durée. Il ne crée cependant pas de présomption de faute ou de responsabilité à l’encontre du locateur8 . Et surtout, il ne dispense d’aucune manière le locataire d’établir que son préjudice résulte d’un vice ou d’une défaillance du bien loué.
Étant d’avis, tout comme le juge de première instance, que les appelantes n’avaient pas rempli leur fardeau d’établir l’existence d’un vice ou d’une défaillance, l’article 1854 CcQ ne pouvait trouver application et la responsabilité du locateur ne pouvait être engagée.