La surveillance par un employeur de l’utilisation de l’Internet par ses employés est-elle légale?
Dans une décision récente, un tribunal d’arbitrage était appelé à se prononcer sur la légalité de l’utilisation, par un employeur, d’un logiciel de sécurité informatique qui enregistre et produit un journal quotidien des consultations sur des sites Internet faites par ses employés à des fins professionnelles ou personnelles à partir d’un ordinateur fourni par l’employeur pendant les heures de travail.
Dans cette affaire, le Syndicat représentant les intérêts des employés estimait que cette pratique de l’employeur consistait en une surveillance électronique illégale, puisqu’elle équivalait à « une surveillance constante ou continue » des employés.
L’employeur prétendait, quant à lui, qu’il n’effectuait pas une telle surveillance constante ou continue des consultations menées par ses employés sur Internet. En effet, les informations compilées par son logiciel étaient somme toute restreintes, tout comme l’utilisation qu’il en faisait.
Deux droits fondamentaux étaient en jeu dans ce litige : celui du droit à des conditions de travail justes et raisonnables découlant de l’article 46 de la Charte québécoise, et celui du droit au respect de la vie privée prévu aux articles 35 et 36 du Code civil du Québec ainsi qu’à l’article 5 de la Charte québécoise.
Pour disposer du grief, le tribunal devait décider si l’utilisation du logiciel en question par l’employeur constituait une condition de travail déraisonnable ou qui porterait atteinte à la vie privée des employés.
Parmi les éléments ciblés par le logiciel, on retrouvait entre autres le nombre de connexions pour chacune des catégories de sites jugés comme étant non reliés au travail (telles que le voyage, les réseaux sociaux, le magasinage ou les services bancaires) et le pourcentage de ces connexions par rapport à l’ensemble des connexions, et ce, pour une période visée.
À première vue, cette surveillance pourrait sembler non négligeable aux yeux de certains. Cela dit, le tribunal a estimé qu’en l’espèce, l’utilisation du logiciel et les rapports de journalisation qu’il génère ne constituaient pas une surveillance constante et continue des employés – du moins pas au point qu’il s’agisse d’une condition déraisonnable de travail. En effet, le logiciel ne permet pas de capter toutes les activités menées par un employé alors qu’il est à son poste de travail, contrairement à une caméra, par exemple.
Le tribunal a également conclu que cette pratique n’équivalait pas à une atteinte à la vie privée des employés. En l’espèce, l’expectative de vie privée des employés était très restreinte puisque l’employeur avait adopté une politique les avisant précisément de l’existence d’une telle surveillance.
En cette période où le télétravail est non seulement à la mode, mais parfois exigé de la part des employeurs pour des raisons sanitaires, cette décision est d’autant plus pertinente. Notamment, elle rappelle aux employés qui seraient tentés d’utiliser à des fins personnelles leur ordinateur fourni par leur employeur que le fait de travailler à partir de chez soi ne signifie pas pour autant que leur employeur ne les surveille pas – et que ce n’est pas légal.
Alors que, pour plusieurs, les frontières entre le lieu de travail et la maison ne sont plus aussi étanches qu’elles l’étaient il y a de cela à peine quelques mois, les technologies de l’informations, elles, sont à l’évidence omniprésentes et ne connaissent pas de frontières. Après tout, le télétravail est très souvent possible grâce aux mêmes outils technologiques qui ouvrent la porte à une telle surveillance – difficile de s’en sortir!
[NDLR : Un pourvoi en contrôle judiciaire de cette sentence arbitrale fût déposé par le Syndicat le 2 septembre 2020. Au moment de la publication de ce blogue, cette information n’était pas connue de l’auteure. Restez à l’affut!]