La Cour supérieure autorise la défenderesse, Canadian Malartic Mine, à présenter des offres individuelles de règlement aux membres de l’action collective… sous certaines conditions
Le 27 novembre dernier, par voie de jugement déclaratoire, la Cour supérieure du Québec a autorisé la défenderesse Canadian Malartic à inviter les membres du groupe de l’action collective autorisée contre elle à recevoir des offres individuelles de règlement, sans la présence d’avocats, mais sous certaines conditions (Trottier c. Canadian Malartic Mine, 2017 QCCS 5446).
II est à propos pour ce billet de dresser le portrait factuel et l’historique procédural de l’affaire. Pour ce faire, il convient de revenir sur les deux jugements antérieurs dans ce dossier, également rendus sous la plume de l’honorable Robert Dufresne, j.c.s.
Jugement sur demande sui generis pour informer les membres de leurs droits
La défenderesse exploite la plus grande mine d’or à ciel ouvert au Canada située dans la partie sud du périmètre urbain de Malartic. Aux fins de l’exploitation de la mine, qui a débuté en 2013 et devrait se terminer en 2028, des opérations de forage, dynamitage, pelletage, transport, et déchargement s’effectuent au quotidien[1].
Le 1er août 2016, une demande d’autorisation pour exercer une action collective est présentée par le demandeur, M. Louis Trottier. L’action vise essentiellement l’obtention de dommages et intérêts compensatoires et exemplaires pour troubles du voisinage.
Le 15 novembre 2016, un jugement est rendu sur la « demande sui generis pour informer les membres de leurs droits » du demandeur (Trottier c. Canadian Malartic Mine, 2016 QCCS 6083).
Le demandeur souhaitait obtenir par cette demande une ordonnance forçant la défenderesse à faire signer un mémorandum contenant certaines informations déterminées par la Cour à tout membre du groupe désigné dans la demande d’action collective qui manifesterait son intention de signer une quittance en échange d’une compensation monétaire de la défenderesse[2].
Par sa décision sur cette demande sui generis, la Cour a posé les jalons du jugement déclaratoire de novembre dernier. Elle expose en effet le contexte factuel relatif aux transactions hors cour intervenues entre les membres du groupe et la défenderesse avant le jugement d’autorisation. Certains de ces faits méritent d’être ici mentionnés.
En mai 2015, la défenderesse a entrepris une démarche visant l’adoption d’un Guide de cohabitation visant l’atténuation et la compensation des impacts et l’acquisition de propriétés à Malartic (le « Guide »). Ce Guide établit notamment les compensations financières découlant de la cohabitation.
Un groupe de travail formé de 12 membres de diverses entités est alors chargé de l’élaboration du Guide (le « Groupe de travail »). On y retrouve des représentants de la défenderesse, de la ville de Malartic, du Comité de suivi des opérations de la mine, et du Comité de citoyens de la zone sud.
En janvier 2016, le Comité zone sud a quitté le Groupe de travail, car il ne partageait pas les vues des autres membres. Le demandeur, M. Trottier, était un membre de ce comité.
Au printemps 2016, la première mouture du Guide est créée et les montants des compensations financières sont fixés. Des séances publiques d’information et du porte-à-porte sont alors effectués par le Groupe de travail. À noter que le Comite zone sud a également tenu des séances publiques d’informations, et fait du porte-à-porte.
À l’été 2016, la version finale du Guide est complétée et celui-ci prévoit un processus bien précis pour bénéficier des compensations financières. Notamment, les citoyens intéressés doivent s’inscrire au cours d’une période donnée, rencontrer un membre d’une équipe formée à cette fin, repartir avec de la documentation, puis reprendre un rendez-vous au plus tôt 5 jours après la première rencontre pour signer le Guide.
Remarquons que le citoyen qui signe le Guide s’engage à s’exclure d’une éventuelle action collective pour toute réclamation couverte par la quittance (soit uniquement pour la période qui y est visée)[3].
Finalement, nous notons que contrairement aux prétentions du demandeur, la Cour a conclu dans ce jugement qu’elle ne dispose d’aucune preuve indiquant qu’un citoyen aurait signé la quittance sans être informé de l’existence de la demande d’action collective ni que le droit des citoyens d’être conseillés par un procureur de leur choix ou par le cabinet d’avocats du demandeur ne leur a été nié.
Jugement autorisant l’action collective
Le 5 mai 2017, la Cour autorise l’exercice de l’action collective et attribue à M. Trottier le statut de représentant pour le groupe suivant (Trottier c. Canadian Malartic Mine, 2017 QCCS 1845) :
Toutes les personnes qui, depuis le 1er août 2013, sont propriétaires, locataires ou résidents, ou ont été propriétaires, locataires ou résidents, d’immeubles situés dans les quartiers Centre, Est et Laval de la ville de Malartic, délimité par la voie ferrée au nord, par le chemin du Lac Mourier à l’ouest, par la mine au sud et par l’avenue Champlain à l’ouest, en plus des résidents du chemin des Merles à Rivière-Héva, incluant les propriétaires des immeubles compris dans cette zone, même s’ils n’y résident pas, ainsi que les locataires d’immeubles commerciaux[4].
La Cour rapporte que 83 % des membres ont signé le Guide. Quant à sa portée contractuelle, la Cour note que les membres du groupe qui se sont exclus pour une période donnée des indemnités seront automatiquement susceptibles de recevoir les indemnités pour des périodes autres à titre de membres du groupe de l’action collective[5].
Nous remarquons ici que le demandeur a allégué au stade de l’autorisation que les montants reçus par les adhérents qui ont signé le Guide sont tellement désavantageux par rapport à ce que la Cour pourrait octroyer par l’action collective, que la réduction de l’obligation desdits membres adhérents au Guide est un remède justifié dans le cadre de la présente action collective. La Cour a refusé d’autoriser la question relative à cet argument à titre de questions connexes à l’action collective, car elle ne répond pas selon elle aux critères de l’article 575 Cpc, et apparaît contraire à une saine administration de la justice. La Cour indique à ce soutien que M. Trottier n’est pas un membre du groupe d’adhérents au Guide, et que sa position à son égard serait en conflit d’intérêts avec le statut de représentant que lui reconnaît le Tribunal.
Jugement autorisant la présentation d’offres individuelles après l’autorisation de l’action
Nous en revenons à la décision faisant l’objet de ce billet (Trottier c. Canadian Malartic Mine, 2017 QCCS 5446). Par demande de jugement déclaratoire, la défenderesse a demandé l’autorisation du tribunal afin d’inviter les membres du groupe à venir rencontrer ses employés, et non ses avocats, pour leur présenter ses offres de règlement hors cour prévues au Guide 2017[6]. Le demandeur s’est opposé à une telle démarche.
En début d’analyse, la Cour constate trois faits importants relativement aux offres de règlement prévues au Guide de cohabitation pour 2017[7] : (i) le Guide 2017 prévoit le versement des mêmes indemnités que celles versées en 2016, majorées de l’inflation; (ii) les documents contractuels du Guide 2017 ne sont pas différents de ceux antérieurement signés; et (iii) comme en 2016, aucune interaction avec les avocats de la défenderesse ne doit avoir lieu avec les citoyens; ceux-ci doivent rencontrer des employés dédiés à cette tâche durant la période visée.
Au terme de son analyse des motifs invoqués par les parties, la Cour donne raison à la défenderesse et déclare qu’il lui est loisible d’inviter les membres du groupe à venir rencontrer son équipe afin de recevoir les offres de règlement hors Cour pour 2017 suivant le même procédé qu’établi pour l’année 2016 et pour les années antérieures. Trois assises juridiques fondent sa décision selon nous.
Premièrement, la Cour rejette l’argument de demandeur relatif au droit d’être représenté par avocats. Il avait soutenu à cet effet que puisque les membres d’une action collective sont des demandeurs à la procédure, ils ont en ce sens le droit d’être assistés de leurs avocats. La Cour explique que « le droit d’être représenté par avocat n’emporte nullement une obligation de le faire »[8].
Deuxièmement, la Cour refuse l’argument du demandeur selon lequel l’article 590 Cpc exige que les offres de règlement dans une action collective soient acceptées par le Tribunal pour être valables. La Cour estime que cet article traite du règlement collectif qui s’impose aux membres même en cas de refus de leur part, mais qu’il ne peut trouver application en l’espèce puisque la situation envisagée est à l’inverse : personne n’est obligé d’accepter les offres de règlement que désire présenter la défenderesse aux membres.
Troisièmement, la Cour explique qu’on ne saurait faire valoir un argument relatif à la confidentialité et à la quiétude des membres, car lorsque ces derniers se déplacent eux-mêmes aux rencontres et s’identifient pour recevoir les offres, ils renoncent à leur « quiétude » et à leur « anonymat ».
En mot de la fin, la Cour souligne que cette affaire soulève une question propre à l’action collective, soit de savoir si les parties peuvent communiquer entre elles sans la présence de leur avocat et en l’absence d’intervention du Tribunal[9]. L’honorable juge Dufresne conclut qu’à cette étape de la procédure, alors que le délai d’exclusion et que période visée par l’action collective ne sont pas encore fixés, il serait contraire aux droits des individus membres du groupe autorisé de leur refuser d’accepter de régler leur litige hors Cour avec la défenderesse
[1] Trottier c. Canadian Malartic Mine, 2017 QCCS 1845, au para. 9.
[2] Trottier c. Canadian Malartic Mine, 2016 QCCS 6083, au para. 21.
[3] Trottier c. Canadian Malartic Mine, 2017 QCCS 1845, au para. 77.
[4] Ibid., au para. 88.
[5] Ibid., au para. 77.
[6] Trottier c. Canadian Malartic Mine, 2017 QCCS 5446, au para. 2.
[7] Ibid., aux paras. 7, 10, et 11.
[8] Ibid., au para. 23.
[9] Ibid., au para. 26.