La Cour d’appel tranche: des suppléantes occasionnelles peuvent conserver leur statut de salariées entre deux remplacements
Par Mathilde Couture, stagiaire en droit
Une décision récente vient préciser la question relative au droit à l’indemnité pour congés fériés dans le contexte bien particulier de suppléantes occasionnelles n’ayant ni travaillé le jour d’avant ni après ledit congé férié.
Dans cette affaire[1], la Cour d’appel a eu la chance d’appliquer le nouveau cadre d’analyse relatif au contrôle judiciaire à l’aide des enseignements issus de Vavilov[2], récent arrêt de la Cour suprême.
Les faits sont les suivants :
Le Syndicat de l’enseignement de Champlain (le « Syndicat ») fait appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli le pourvoi en contrôle judiciaire d’une sentence arbitrale de griefs. Le litige opposant les parties porte sur la notion de salarié et le droit de recevoir une indemnité pour jours fériés en vertu de la Loi sur les normes du travail (« LNT ») et de la Loi sur la fête nationale.
La Cour supérieure a conclu qu’il était déraisonnable pour un arbitre de juger que des suppléantes occasionnelles demeurent des salariées durant la période comprise entre deux remplacements afin de déterminer leur droit à l’indemnité pour jours fériés. Selon elle, les suppléantes occasionnelles ne peuvent bénéficier de l’indemnité pour jours fériés lorsque celui-ci a lieu entre deux remplacements puisqu’elles ne se qualifieraient pas, à ce moment-là, comme salariées au sens de la LNT Le juge a donc annulé la sentence arbitrale et retourné le dossier à l’arbitre.
Or, à la lumière du nouveau cadre d’analyse, la Cour d’appel tranche en faveur de l’appelant et vient à la conclusion suivante : le juge de la Cour supérieure a outrepassé son rôle et substitué sa propre interprétation à celle de l’arbitre, appliquant ainsi, indûment, la norme de la décision correcte.
Les deux parties plaident que le juge de la Cour supérieure n’a pas commis d’erreur en retenant la norme de la décision raisonnable, ce que la Cour d’appel confirme. Toutefois, le Syndicat soutient pour sa part que le juge a eu tort de conclure que la sentence arbitrale était déraisonnable.
Selon les juges du plus haut tribunal du pays[3], deux catégories de lacunes fondamentales caractérisent une décision déraisonnable :
- La décision marquée par un manque de logique interne, fondée sur un raisonnement irrationnel;
- La décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision.
Faisant suite à l’application de ce cadre d’analyse en l’instance, la Cour est d’avis que le juge a excédé son rôle. Plutôt que de se demander si l’interprétation que donne l’arbitre aux dispositions de la LNT était raisonnable, il procède à une interprétation de novo des dispositions législatives, appliquant ainsi la norme de la décision correcte plutôt que raisonnable :
65. En écartant l’interprétation de l’arbitre, le juge réviseur recherche la solution correcte plutôt que de simplement s’assurer du caractère raisonnable de la décision. Bien qu’il soit permis de ne pas partager l’interprétation retenue par l’arbitre et bien que celle-ci puisse, dans certaines circonstances, soulever des difficultés d’application, elle n’est pas pour autant déraisonnable.
Par ailleurs, la Commission scolaire n’a pas convaincu la Cour quant au caractère déraisonnable de la décision de l’arbitre. La prise en compte par l’arbitre de l’intention du législateur d’élargir la protection offerte par la LNT, notamment par ses modifications aux articles 62 et 65, constitue un premier signe de son caractère raisonnable selon les enseignements de l’arrêt Vavilov.
La détermination du « service continu » n’étant plus une condition au droit à l’indemnité pour jours fériés en vertu de l’article 65 LNT, il convient plutôt de décider si les suppléantes occasionnelles perdent leur statut de salariées à la fin de chaque remplacement, question à laquelle l’arbitre répond par la négative. Considérant la régularité significative des remplacements et le maintien des suppléantes sur la liste de rappel lors d’un jour férié, l’arbitre conclut qu’elles sont susceptibles d’être rappelées et donc que le lien d’emploi est maintenu.
La Cour d’appel estime que cette conclusion de l’arbitre est raisonnable en ce qu’elle est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles du dossier. Le juge de première instance n’aurait donc pas dû intervenir.
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[1] 2020 QCCA 135
[2] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65
[3] Prec. Note 2, par. 101