
Injonction interlocutoire mandatoire : la clause d’occupation continue du locataire doit être honorée
Dans la décision Société du Vieux-Port de Montréal c. 9127-6519 Québec inc., 2018 QCCS 1406, l’honorable juge Lukasz Granosik, j.c.s., accueille une demande en injonction interlocutoire mandatoire de la Société du Vieux-Port de Montréal Inc. (« SVPM ») et ordonne à 9127-6519 Québec inc. (« 9127 ») d’exercer ses activités de façon continue et active dans les lieux loués jusqu’à jugement définitif.
Dans cette affaire, 9127 reprochait à SVPM plusieurs gestes et omissions qui rendraient impossible d’opérer son comptoir de restauration offrant une alimentation inspirée de la cuisine libanaise au Centre des sciences de Montréal. Le déménagement de la clientèle, l’apparition de camions de cuisine de rue et la modification de la circulation provenant des bateaux de croisière figurent parmi les motifs invoqués par 9127. 9127 avait annoncé par écrit qu’elle quitterait les lieux avant la fin du terme le 30 novembre 2019. SVPM réfutait les reproches; elle avait appris en novembre 2017 que 9127 avait résilié son contrat de gaz commercial au motif qu’elle ne serait plus locataire. SVPM entreprenait alors une demande en injonction interlocutoire mandatoire pour forcer 9127 à exploiter son commerce.
L’honorable juge Granosik, j.c.s., rappelle d’abord, au paragraphe 11 de sa décision, le test modifié consacré par la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Société Radio-Canada, 2018 CSC 5 relativement aux demandes d’injonctions interlocutoires mandatoires. Ainsi, au niveau de l’apparence de droit, il faut une « forte apparence de droit » par opposition à une « question sérieuse à juger ». Notre collègue Léa Charbonneau y a d’ailleurs consacré son blogue du 16 février 2018. De plus, même si ce critère est rencontré, l’étude du critère de la balance des inconvénients doit faire partie de l’analyse.
Concernant le critère de l’apparence de droit, le tribunal conclut qu’il y a une forte apparence de droit en l’espèce en ce que le bail est clair quant à la clause d’opération continue du comptoir alimentaire. Il souligne que le bail a été renouvelé en 2015 et mentionne entre autres que la validité du bail ou l’interprétation de la clause en question ne sont pas remis en cause.
Sur la question du préjudice irréparable, le tribunal conclut que le critère est également rencontré. La complémentarité dans l’offre alimentaire et la matrice graphique démontrant que la fermeture d’un des huit comptoirs alimentaires aura des répercussions négatives sur l’achalandage et sur l’image du SVPM auprès de sa clientèle font partie des éléments retenus. Le tribunal cite également la jurisprudence qui qualifie d’irréparable le préjudice du locateur suite au déguerpissement prématuré d’un locataire en présence d’une clause d’occupation continue.
Finalement, le tribunal procède à l’analyse du critère de la prépondérance des inconvénients. La Cour suprême du Canada édicte dans l’arrêt Société Radio-Canada: « Le demandeur doit démontrer que la prépondérance des inconvénients favorise la délivrance de l’injonction. » Les conclusions de l’honorable juge Granosik, j.c.s. quant à ce critère se lisent comme suit :
[19] Les deux parties ont manifestement à perdre si la décision sur la demande d’injonction interlocutoire n’est pas rendue en leur faveur.
[20] D’une part, si l’injonction est refusée, la SVPM non seulement subirait un manque à gagner et aurait à combler un espace vide, mais surtout, devrait aussi effectuer des démarches d’urgence pour trouver un remplaçant à 9127, qui accepterait de louer pour la période estivale uniquement et offrirait une cuisine spécifique n’entrant pas en conflit avec les autres restaurants déjà en opération au Centre des sciences de Montréal.
[21] D’autre part, si l’injonction est accordée, 9127 serait obligée de continuer ses activités commerciales à perte, quitte à obtenir réparation du préjudice subi au terme du processus judiciaire.
[22] Cela dit, le Tribunal estime qu’au final l’analyse de ce critère favorise légèrement la SVPM car cette dernière demande le maintien du statu quo, alors que la décision unilatérale de 9127 de quitter les lieux vient bouleverser les rapports contractuels constants et existants depuis 2009, lesquels ont d’ailleurs été renouvelés, en toute connaissance de cause, en 2015.
[23] De plus, 9127 ne soumet aucun bilan, budget, prévision ni information d’ordre financier ou commercial au soutien des prétentions exprimées à l’instruction. Le Tribunal estime qu’à tout événement, comme toute personne qui se livre à un commerce ou qui opère une entreprise, 9127 doit composer avec les aléas de telles activités, ce qui comprend non seulement les chances de profits mais aussi, parfois, les risques de pertes. (Nous avons souligné.)
Sur la balance des inconvénients, on constate que ce critère désormais essentiel lors du débat sur une demande d’injonction interlocutoire mandatoire donnera du fil à retordre aux parties, à leurs avocats et aux juges: la ligne est mince!