Inaction du demandeur et déni de justice
Dans Singh c. Sandhu, 2016 QCCS 4419, la Cour supérieure doit trancher la difficile question de déterminer si elle doit ou non rejeter un recours en vertu de l’article 51 C.p.c. et de son pouvoir inhérent, les demandeurs ayant laissé leurs dossier dormir au cours des 15 dernières années.
Par leur recours intenté en 2001, les demandeurs recherchaient le remboursement d’un prêt de 90 500 $ qui, selon ces derniers, n’avait pas été utilisé à la fin qui avait été entendue par les parties, soit la construction d’un temple Sikh. La réclamation totale s’élevait à 217 095 $.
Les demandeurs ont été interrogés au préalable en 2001. Ces derniers n’ont pas répondu à l’ensemble de leurs engagements et en conséquence, le dossier est tombé en dormance jusqu’en 2013 lorsqu’une des parties défenderesses, ayant appris le décès de l’avocat des demandeurs, a signifié un avis demandant la désignation d’un nouvel avocat. De façon contemporaine, cette partie défenderesse a également produit une requête en rejet, présentable sine die. En réponse, les demandeurs ont embauché un nouvel avocat qui a comparu, mais aucune action n’a été prise par ce dernier eu égard à la progression du dossier, incluant les réponses aux engagements. La requête pour rejet a donc finalement été plaidée en juin 2016.
En réponse à la requête pour rejet, les demandeurs ont plaidé que leur retard à faire progresser leur dossier était dû à leur manque de ressources financières et des problèmes de santé. Ils n’ont jamais abandonné ce dossier.
La juge Kear-Jodoin applique les principes énoncés par la juge Roy dans Karkouti c. Société Al-Qantara, 2008 QCCS 3523 et la juge Capriolo dans Feldman c. RBC Dominion Valeurs Mobilières Inc., 2011 QCCS 6553. On y établit que le préjudice de défendeur se trouve dans le délai lui-même qui fait en sorte de priver ce dernier d’une défense plein et entière : « Le Tribunal serait incapable de reconstituer avec exactitude la trame des événements, en raison de la mémoire toute relative de témoins qui devront se souvenir de détails survenus il y a trop longtemps, sans compter le risque que certains des témoins ne puissent être retracés au moment de l’audition […] » (Karkouti, par. 45). Ainsi, une fois que le défendeur a établi que le délai pour faire progresser le dossier est excessif et inexcusable, c’est le demandeur qui a le fardeau de démontrer que le défendeur n’a pas subi un préjudice.
Or, dans cette affaire, Singh c. Sandhu, la juge Kear-Jodoin a conclu que : 1) le délai était excessif et inexcusable et 2) les demandeurs n’ont pas rencontré leur fardeau de démontrer que ce délai (excessif et inexcusable) n’occasionne pas un préjudice aux défendeurs :
[23] Although the Court may sympathize with the reasons advanced by the plaintiffs the Court finds the delay excessive and inexcusable. They are insufficient to justify the plaintiffs’ failure to proceed with this matter in a diligent manner.
[…]
[26] The evidence reveals that one of the defendants Avtar Singh Saroya has passed away. Some defendants cannot be located. Moreover, even if all potential witnesses are located there remains serious doubt as to the likelihood that they would have a clear recollection of events which occurred over 18 years ago.
[…]
[28] The Court finds that the delay of 15 years has undermined the defendants’ ability to provide a full defence to plaintiff’s claim.
[29] The Court finds that there has been a significant prejudice caused to the defendants by the delay in the proceedings and the plaintiffs’ reasons for their failure to proceed diligently do not justify the delay. It is in the interest of the administration of justice that this action be dismissed.
À la lumière de ces jugements, en défense à une telle requête, il est donc recommandé de tenter de présenter la preuve la plus complète de l’absence de préjudice des défendeurs, par exemple s’assurer de la disponibilité de tous les témoins, convaincre le tribunal que la preuve documentaire déjà produite lui permettra d’établir une trame factuelle précise, produire les notes sténographies des interrogatoires préalables, etc.