
Hypothèque légale de la construction : la plus-value s’établit à la date de fin ou d’abandon des travaux
Dans un jugement récent[1], la Cour supérieure adopte un point de vue favorable aux créanciers détenteurs d’hypothèques légales de la construction et réaffirme que la plus-value – qui détermine la valeur de leur garantie – s’établit au jour de la fin ou de l’abandon des travaux. Ces créanciers n’ont donc pas à s’inquiéter des faits subséquents, qui pourraient autrement limiter, voire anéantir, leur sûreté.
Voici le contexte factuel de l’affaire.
Vers la fin 2010, 9206-5879 Québec inc. (« Tysel ») entreprend la construction d’une tour à condos sur un immeuble dont elle est propriétaire, à Brossard. Elle embauche plusieurs entrepreneurs, qui effectuent des travaux préliminaires (excavation, pieutage, etc.) jusqu’au printemps 2011, puis tous quittent le chantier faute de paiements. Des hypothèques légales sont alors inscrites à l’encontre du titre de l’immeuble pour plusieurs millions de dollars.
À la suite de cela, les travaux ne reprendront jamais et seront même finalement démolis par le propriétaire actuel de l’immeuble.
Dans ce contexte, les demandeurs, qui sont créanciers hypothécaires conventionnels de Tysel, décident de réaliser leur garantie et de faire vendre l’immeuble sous contrôle de justice. Ils prennent ensuite action pour contester l’état de collocation dressé post vente, selon lequel les détenteurs d’hypothèques de la construction prennent rang devant eux pour la pleine valeur de ces hypothèques.
Au procès, l’argument principal des demandeurs consiste à dire que les travaux n’ont apporté aucune plus-value à l’immeuble puisque le projet initial a été abandonné et qu’ils n’ont par ailleurs été d’aucune utilité pour le nouveau propriétaire. Le tribunal rejette cet argument comme suit :
[36] L’approche privilégiée par les Frères Knot est assimilable à la notion de plus-value conservée, or la Cour d’appel dans l’arrêt Construction Steco c. Gestion Michel Bélanger inc. établit une distinction entre la plus-value conservée par rapport à la plus-value donnée en indiquant clairement que c’est cette dernière qui doit l’emporter. Voici les extraits pertinents :
[25] Comme le souligne la juge de première instance, la plus-value, qui est unique pour l’ensemble des travaux (art. 2952 C.c.Q.), requiert une analyse comparative entre la valeur de l’immeuble avant et après les travaux (on fait donc appel à une notion économique objective).
[26] Elle doit s’établir au moment de la fin des travaux et non au moment de l’introduction d’une procédure en délaissement, de la vente forcée de l’immeuble ou de la préparation de l’ordre de collocation […] En effet, l’art. 2728 C.c.Q. réfère à la « plus-value donnée à l’immeuble par les travaux, matériaux ou services » et non à la plus-value conservée1.
[37] Par ailleurs, l’auteur David Kauffman est encore plus précis quant à la période où doit être considérée la plus-value.
“ §967. […] The determination [of the plus-value] must be made retroactive to the time of the completion of the work.
§968. Events subsequent to completion of the construction – such as a drop in real estate market, economic downturn, change in fiscal laws, adverse zoning modifications – do not influence the plus-value. To allow the plus-value to be determined at a subsequent moment in time allies the plus-value with the future vagaries of the real estate market place, distorting the plus-value to the detriment of the construction creditor in an economic downturn.
[…]
§997. Beyond doubt, plus-value should be determined during the collocation process yet retroactive to the moment when the work, services and materials were provided. The moment when the plus-value is to be determined follows the matrix of the construction schedule. At the start of a construction project, the plus-value is zero. The plus-value increase in congruence with the progress of the construction until the zenith of the plus-value is reached upon completion or abandonment of the project.”
(Nos soulignés)
[38] Le Tribunal adhère à la théorie de l’auteur Kauffman lorsqu’il précise que les artisans de la construction ne doivent pas être tributaire d’un mouvement dans le marché immobilier.
[39] En fait, ce n’est même pas le marché immobilier comme tel qui est en cause. Il s’agit d’un concept nouveau d’unités plus petites en superficie, permettant aux promoteurs de les écouler plus rapidement.
[40] Avaliser cette démarche, mettrait les artisans de la construction à la merci des modes ou du dictat de certains promoteurs. Ce n’est certainement pas ce que le législateur voulait alors qu’il accorde depuis des décennies une protection efficace pour ces artisans, lesquels représentent un pan très important de notre économie.
[41] Ainsi, le Tribunal considèrera l’abandon des travaux comme référence pour établir la plus-value conférés à l’Immeuble.
La Cour supérieure réaffirme donc dans ce jugement le principe selon lequel la plus-value s’établit à la date de fin ou d’abandon des travaux. Aussi, quoiqu’il ne s’agisse pas d’un principe nouveau, nous connaissons peu de décisions[2] qui l’affirment aussi clairement et la présente affaire est à garder en tête pour tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin au droit de la construction.
[1] Knot c. 9208-5879 Québec inc., 2017 QCCS 2160.
[2] Construction Steco inc. c. Gestion Michel Bélanger inc., 2013 QCCA 217, para. 26; Construction Delaumar inc. c. Verrières Val des Arbres inc. (Séquestre de), 2012 QCCA 985, para. 33; et Crédit foncier franco-canadien c. Modular Windows of Canada, EYB 1985-143799 (C.A.), paras. 17 à 23.