Existe-t-il un nouveau délai de prescription pour les recours extracontractuels contre une ville qui agit « à titre privé »?
Dans la récente décision Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Ville de Montréal [1], la Cour d’appel a analysé l’étendue de l’application de l’article 586 de la Loi sur les cités et villes (la « LCV ») prévoyant un délai de prescription de six mois pour « Toute action, poursuite ou réclamation contre la municipalité ou l’un de ses fonctionnaires ou employés, pour dommages-intérêts résultant de fautes ou d’illégalités » afin de déterminer si cet article trouvait application lorsque la Ville agissait comme employeur et non dans « un cadre municipal ».
La Cour d’appel a conclu que l’élément donnant ouverture à l’application de l’article 586 susmentionné est la nature du recours. Ainsi tout recours extracontractuel dirigé à l’encontre d’une ville sera soumis au délai de prescription de six mois, peu importe que la Ville ait agi dans un cadre privé ou public, exception faite des recours basés sur un préjudice corporel tel que prévu à l’article 2930 CCQ.
Dans la présente affaire, Mme Jalbert, avait appliqué à un poste auprès de la nouvelle unité du Service de police de la Ville de Montréal (le « SPVM ») chargée d’assurer la sécurité dans le métro de Montréal.
Le SPVM ayant décidé de ne pas retenir la candidature de Mme Jalbert en raison de ses antécédents de dépression, celle-ci a porté plainte auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (la « CDPDJ ») pour discrimination, huit mois après avoir été informée des raisons du rejet de sa candidature. La CDPDJ a par la suite entrepris un recours au nom de Mme Jalbert contre la Ville de Montréal (pour les actions du SPVM) devant le Tribunal des droits de la personne.
Le Tribunal des droits de la personne a rejeté le recours de la CDPDJ au motif que celui-ci était prescrit : Mme Jalbert ayant porté plainte auprès de la CDPDJ plus de six mois après avoir eu connaissance des motifs du refus de sa candidature, son recours ne respectait pas le délai de l’article 586 de la LCV.
La CDPDJ a porté cette décision en appel et alléguait notamment que la Ville, agissant à titre d’employeur dans le présent dossier et non à titre « municipal », l’article 586 LCV ne trouvait pas application.
La Cour d’appel s’attarde d’abord à la qualification du recours de Mme Jalbert et conclut que tel que décidé par le Tribunal des droits de la personne, celui-ci est extracontractuel. En effet, la Cour d’appel a réitéré la jurisprudence constante excluant les recours de nature contractuelle du champ d’application de l’article 586 de la LCV.
La Cour d’appel a ensuite analysé l’argument de la CDPDJ qu’elle résume comme suit :
En fait, ce que la Commission soutient c’est que l’absence de contrat d’emploi n’est pas fatale puisque, dit-elle, le champ d’application de l’article 586 doit être limité davantage pour en exclure également les recours de nature extracontractuelle lorsque la faute alléguée participe d’une activité « privée » par opposition à une activité « publique » ou « municipale ».
Quoique l’argument soit intéressant, j’estime qu’il ne peut être retenu sans réécrire l’article 586 de la Loi, ce qui n’est pas le rôle de la Cour. Celui-ci vise en effet toute action, poursuite ou réclamation sans aucune distinction, et l’historique de la disposition ne permet pas davantage d’en faire.
La Cour d’appel conclut qu’une revue du texte de l’article 586 LCV et des versions antérieures de celui-ci démontre l’intention du législateur de le rendre applicable à tous les recours contre la Ville, excepté les recours contractuels et les recours fondés sur un préjudice corporel tel que prévu à l’article 2930 CCQ.
Ainsi, la capacité en vertu de laquelle agit la Ville, soit « à titre privé », notamment comme employeur, ou « à titre public » n’a aucune incidence sur l’application ou non de l’article 586 LCV, puisque l’élément déterminant à cet égard est la nature même du recours entrepris.
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[1] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Jalbert) c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal), 2019 QCCA 1435