Discrimination relative à l’emploi : la Cour suprême tranche en faveur d’une protection accrue
La Cour suprême a récemment tranché en faveur d’une interprétation large de la discrimination relative à l’emploi, confirmant que le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique avait compétence pour entendre une plainte déposée par un employé contre un individu employé par une autre compagnie.[1]
Alors qu’il est à l’emploi d’une firme de génie supervisant les travaux de réfection d’une autoroute, S-M subit les propos racistes et homophobes de Schrenk, contremaître de Clemas, entrepreneur général œuvrant sur le même chantier. S-M avise son propre employeur de la situation, qui intervient auprès de Clemas. Malgré l’intervention initiale de Clemas auprès de son employé, les comportements discriminatoires se poursuivent et la force à retirer Schrenk du projet. Ne reculant devant rien, Schrenk entreprend alors d’envoyer par courriel des propos dénigrants à S-M qui en avise aussitôt Omega et Clemas. Schrenk est alors congédié par Clemas. S-M dépose une plainte au Tribunal des droits de la personne contre Clemas et Schrenck. À la première occasion, Schrenk demande le rejet de la plainte pour absence de compétence au motif qu’il n’a jamais eu de lien d’emploi avec le plaignant. Le tribunal rejette cette requête et confirme sa propre compétence dans une décision confirmée par la Cour suprême de la Colombie-Britannique, puis renversée en appel.
La Cour suprême se retrouve ainsi strictement saisie de la détermination de la compétence. Une seule question se pose donc devant le plus haut tribunal : l’article 13(1)(b) du Human Rights Code[2] (« Code ») peut-il s’appliquer à la conduite de Schrenk qui n’est ni employeur ni collègue du plaignant ? La majorité répond par l’affirmative.
L’article 13(1)(b) du Code prévoit qu’une personne ne peut « faire preuve de discrimination envers une personne relativement à son emploi ou aux modalités de son emploi ». La Cour établit que pour être couvert par cette disposition, il n’est pas nécessaire que le comportement discriminatoire soit perpétré par un employeur ou un collègue mais plutôt qu’il présente un lien suffisant avec le contexte d’emploi. Il suffirait donc, pour procéder à cette détermination, d’effectuer une analyse contextuelle en vérifiant notamment :
- si l’auteur de la discrimination alléguée faisait partie intégrante du milieu de travail
- si la conduite reprochée ait été adoptée sur le lieu de travail du plaignant
- si fait que le comportement ait nui à l’emploi.
Pour la majorité, cette interprétation large de la disposition découle naturellement de l’exercice interprétatif qui s’impose. On la constate notamment en s’attardant à l’économie de la loi. En effet, la présomption à l’effet que le législateur ait évité toute redondance veut que l’article 13(1)(b) ne renvoie pas strictement à l’employeur puisque celui-ci est déjà visé par une interdiction de discrimination dans les modalités de l’emploi.
Le juge Rowe, rédigeant les motifs de la majorité, expose également que la structure du Code suggère que la relation de travail y soit envisagée comme « un contexte qui requiert de remédier à l’exploitation de la vulnérabilité plutôt que comme une relation qui nécessite une protection unidirectionnelle. »[3] Selon la Cour, il serait superficiel de postuler que la discrimination ne peut être exercée que par l’employeur puisque des comportements discriminatoires peuvent survenir en milieu de travail sans être ancré dans une inégalité de pouvoir découlant de rapports hiérarchisés. La Cour insiste ainsi sur la vulnérabilité inhérente au statut d’employé :
« À mon avis, cette interprétation contextuelle favorise la réalisation des objets du Code en reconnaissant que la vulnérabilité des employés découle non seulement de leur subordination à leur employeur sur le plan économique, mais aussi du fait qu’ils ne peuvent échapper aux personnes qui font preuve de discrimination, comme un collègue harceleur. »[4]
Les motifs dissidents de la juge en chef, appuyée des juges Brown et Côté, adoptent une toute autre conception de la problématique. Procédant à son tour aux étapes d’interprétation législative, la minorité conclut que la disposition visée ne s’applique qu’aux relations employeurs-employés. Selon la dissidence, tant le texte de la disposition que la loi dans son ensemble suggèrent que le législateur cherchait à cibler la discrimination commise par un employeur ou par quelqu’un dans une situation analogue. Le régime de protection prévu par le Code permet d’apprécier que le législateur a voulu s’attaquer aux inégalités de pouvoir par les recours mis à la disposition notamment des locataires et des employés.
Reconnaissant que des comportements discriminatoires peuvent survenir hors des rapports entre l’employeur et son employé et que ce dernier n’a pas forcément le loisir de s’en soustraire, la dissidence cherche à solutionner le problème par la responsabilisation de l’employeur plutôt que par une interprétation large de la notion de discrimination liée à l’emploi :
« Une employée qui ne peut pas quitter son travail n’est pas captive du harcèlement que lui fait subir un collègue. Son recours n’est pas de confronter ce dernier, mais plutôt de s’adresser à l’employeur ou à la personne responsable de s’assurer que le milieu de travail est exempt de discrimination. Si l’employeur ne fait pas cesser le comportement discriminatoire, l’employée peut intenter un recours contre lui sans crainte de représailles : Code, art. 43. Lorsque l’employeur ne prend pas les mesures appropriées pour mettre fin à la discrimination, le Tribunal peut décider que la conduite de l’employeur elle‑même constitue de la discrimination, donnant ainsi à l’employée accès à l’éventail complet des recours prévus au Code. »[5]
[1] British Columbia Human Rights Tribunal c. Schrenk, 2017 CSC 62 (“Schrenk”)
[2] R.S.B.C., 1996, c. 210
[3] Schrenk, paragr. 48.
[4] Id., paragr. 67.
[5] Id., paragr. 125