Compétence internationale des tribunaux québécois : la proportionnalité est de mise
Dans une récente décision de la Cour supérieure[1], l’Honorable Jean-François-Michaud, J.C.S. était saisi d’une demande en exception déclinatoire contestant la compétence des tribunaux québécois. La demanderesse, une compagnie productrice du Salon d’art de Monaco ayant son siège social au Québec intentait dans le district de Montréal une action en dommages contre deux entreprises ayant leurs sièges sociaux en France. Ces défenderesses lui avaient fourni des services de montage et aménagement de chapiteaux en vue de l’édition de 2015 du Salon d’art. La demanderesse, après avoir reçu de nombreuses réclamations de la part d’exposants insatisfaits de la qualité des installations poursuit les défenderesses pour la valeur totale de ces réclamations ainsi que pour atteinte à sa réputation. Les parties ne sont liées par aucun contrat écrit au-delà d’un simple devis technique, lequel est, on le devine, muet sur la compétence des tribunaux québécois. La question doit donc être tranchée par la Cour.
La demanderesse allègue que la Cour supérieure est compétente en vertu de l’article 3148 al. 3 du Code civil du Québec puisque qu’elle a souffert un préjudice au Québec. L’honorable Jean-François Michaud reconnaît d’emblée qu’il est possible qu’un préjudice purement économique fonde, à lui seul, la compétence des tribunaux québécois. Toutefois, il rappelle les nuances apportées par la Cour d’appel dans Option Consommateurs c. Infineon Technologies[2] – confirmé par la Cour suprême – quant aux limites d’un tel facteur de rattachement. En effet, il incombe toujours aux tribunaux de distinguer entre un préjudice financier réellement subi au Québec et celui qui y est strictement comptabilisé :
[65] [TRADUCTION] Il faut établir une distinction entre [le préjudice] et le «dommage», qui représente la conséquence subjective du préjudice se rapportant à la mesure de réparation nécessaire pour compenser la perte. Par conséquent, en précisant qu’«un préjudice y a été subi» comme facteur de rattachement pertinent, le paragraphe 3148(3) vise à identifier le situs réel du «préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel, que lui cause le défaut du débiteur et qui en est une suite immédiate et directe» (article 1607 C.c.Q.), et non le situs du patrimoine dans lequel la conséquence de ce préjudice est comptabilisée.[3]
La cour estime donc que la demanderesse se retrouve dans le deuxième scénario envisagé ci-haut par la Cour d’appel, soit celui d’un préjudice comptabilisé au Québec, mais bel et bien subi en France. Demeure néanmoins la réclamation pour atteinte à la réputation, laquelle donne lieu, tel que reconnu par le tribunal, à un préjudice subi partiellement au Québec ainsi qu’en France et dans les pays où demeurent les nombreux exposants ayant participé au Salon d’art. Cette fraction d’un vaste préjudice s’étendant un peu partout dans le monde peut-elle constituer un facteur de rattachement autonome ? La cour répond par la négative, estimant qu’une telle solution irait à l’encontre du principe fondamental de la proportionnalité. La Cour cite à cet effet l’article 491 du Code de procédure civile, disposition de droit nouveau dictant que les décisions relatives à la compétence internationale doivent être guidées par les principes directeurs de la procédure :
[19] L’article 491 du Code de procédure civile prévoit que le Tribunal prend en considération les principes directeurs de la procédure lorsqu’il décide de sa compétence internationale :
491. La demande pour que le tribunal québécois décline sa compétence internationale, sursoie à statuer ou rejette la demande pour cause d’absence de compétence internationale est proposée, comme tout moyen préliminaire.
Outre les dispositions du Code civil, le tribunal qui décide de sa compétence internationale prend en considération les principes directeurs de la procédure.
(le Tribunal souligne)
[20] Or, il irait à l’encontre de ces principes et, notamment, du principe de proportionnalité et d’une bonne administration de la justice, que les tribunaux québécois se prononcent sur l’atteinte à la réputation alléguée par la demanderesse, alors qu’ils ne sont pas compétents pour entendre le reste du dossier.
La cour s’inspire donc de l’article 18 C.p.c., assise déjà bien connue de la proportionnalité, pour conclure qu’une portion de 50 000 $ sur une réclamation totale de 839 177$ visant un préjudice subi en partie au Québec ne saurait conférer aux tribunaux québécois la compétence pour se saisir de l’entièreté du litige. Il est à souligner que le tribunal ne décline pas ici compétence, concluant plutôt à son absence en premier lieu. La demande en exception déclinatoire est donc accueillie et le recours de la demanderesse, rejeté.
[1] 9245-4859 Québec inc. c. Martel Events SAS, 2016 QCCS 4550, [Martel Events]
[2] Infineon Technologies c. Option consommateurs, 2011 QCCA 2116 confirmé par [2013] 3 S.C.R. 600
[3] Cité au para 12 de Martel Events