Avez-vous un commencement de preuve?
L’article 2862 du Code civil du Québec interdit la preuve d’un acte juridique par témoignage entre deux parties à un litige, lorsque la valeur de ce litige excède 1 500 $. Il est fait exception à cette règle lorsqu’il y a commencement de preuve de cet acte juridique. L’article 2865 du Code civil édicte quant à lui qu’un commencement de preuve peut résulter d’un aveu, d’un écrit émanant de la partie adverse, de son témoignage ou de la présentation d’un élément matériel, dans la mesure où le moyen rend vraisemblable le fait allégué.
Au surplus, comme l’a récemment rappelé la Cour d’appel du Québec dans Gestion Jyper inc. c. Entreprises Elm Auto inc., 2021 QCCA 460, cette énumération n’est pas exhaustive et le commencement de preuve peut aussi provenir de faits ou du comportement de la partie à qui on l’oppose, s’ils rendent vraisemblable l’acte juridique allégué.
Dans cette affaire, un actionnaire prétendait qu’il avait conclu une entente verbale avec son coactionnaire suivant laquelle leurs investissements en capitaux dans leur société commune seraient partagés en parts égales. Le premier actionnaire ayant déboursé l’ensemble des capitaux durant une certaine période, celui-ci tentait de se faire rembourser la moitié de son investissement sur la base de l’entente verbale alléguée.
C’est dans ce contexte que la Cour d’appel devait décider si le témoignage mettant en preuve ce contrat verbal était admissible. La Cour d’appel accepte le raisonnement du premier juge, qui avait rejeté l’objection à la preuve testimoniale sous l’art. 2865, de la manière suivante :
[27] En l’espèce, la Cour estime que la preuve recèle un tel commencement de preuve. Celui-ci découle toutefois non pas des courriels per se, mais plutôt des faits établis par Perreault et du comportement qu’il a adopté, lesquels rendent vraisemblable l’existence de l’engagement.
[28] Les éléments de preuve suivants sont les plus pertinents :
Perreault reconnaît que lui et Lacombe, entre novembre 2011 et décembre 2012, ont convenu verbalement, à quatre occasions, que Jyper et Elm investiraient des sommes additionnelles dans Agritex, sans par ailleurs juger nécessaire d’adopter une résolution, de rédiger un procès-verbal ou de confirmer cette entente par écrit;
Perreault était le directeur général d’Agritex et était donc impliqué dans la gestion de ses activités. À ce titre il connaissait les besoins financiers d’Agritex en 2013 et savait qu’ils étaient alors comblés exclusivement par Elm;
Il affirme ne pas avoir su qu’Agritex manquait d’argent au début de l’année 2013, et confronté aux courriels (P-42) que lui a transmis Tristin Lovette du département de comptabilité, il se limite à indiquer qu’il ne se souvient pas de les avoir reçus;
Son témoignage quant aux solutions alors envisagées est contradictoire. Il fait état de démarches entreprises pour trouver une autre source de financement, alors que les documents démontrent plutôt que les démarches auxquelles il réfère ont eu lieu en 2011 et en 2012 (P-48 et P-52);
Il n’a pas répondu à certains courriels, dont celui faisant état de son engagement verbal, et a affirmé ne pas les avoir reçus, alors qu’ils ont été envoyés à une adresse courriel qu’il utilisait et à laquelle il a nécessairement reçu certains autres courriels puisqu’il les a retransmis. Il n’a d’ailleurs fourni aucune explication quant au motif pour lequel il n’aurait pas reçu ces courriels, se limitant à dire, de façon hésitante au surplus, qu’il ne se l’explique pas. Il faut ajouter que les expéditeurs de ces courriels affirment n’avoir reçu aucun avis automatisé leur indiquant que l’adresse courriel n’était plus en fonction.
[29] Ces faits, et le comportement de Perreault, rendent vraisemblable le fait qu’il se soit engagé à rembourser à Elm la moitié des sommes qu’elle investirait, et cela suffit pour rendre admissible la preuve testimoniale de cet engagement.
[30] Cette preuve étant admissible, il restait donc essentiellement à apprécier la preuve administrée, ce que le juge de première instance a fait, retenant le témoignage de Lacombe au détriment de celui de Perreault.
[31] Dans la mesure où les appelants n’identifient aucune erreur manifeste et déterminante dans son appréciation, il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir.
Nous accueillons favorablement cet arrêt de la Cour d’appel. Il est devenu fréquent que des coquins prétendent « ne pas avoir reçu le courriel » pour renier leur promesse. Il est heureux que la Cour d’appel confirme une décision sanctionnant ce genre d’excuse peu crédible, en y reconnaissant le commencement de preuve d’un contrat valablement conclu.