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Autorisation d’exercer une action collective : l’intérêt des membres prime sur la règle du premier dépôt

Autorisation d’exercer une action collective : l’intérêt des membres prime sur la règle du premier dépôt

La Cour d’appel a récemment confirmé – à deux reprises – que la règle du premier dépôt en matière d’autorisation d’action collectives ne peut faire obstacle à la représentation adéquate des membres de l’action proposée. En effet, au terme d’une audience commune, la Cour d’appel a maintenu deux jugements de la Cour supérieure punissant l’attentisme de deux représentants à un stade préalable à l’autorisation.

Dans Badamshin c. Option consommateurs et al.[i], la Cour se penchait sur un jugement ordonnant la suspension des premières procédures déposées au greffe en faveur d’une deuxième requête en autorisation déposée par l’intimée, Option consommateurs. Si Badamshin avait effectivement été la première à déposer sa demande d’autorisation, il s’avérait que bien peu avait été accompli pour faire progresser ce recours. L’intimée en avait donc obtenu la suspension au motif que la requérante s’était précipitée pour déposer la première dans l’unique but d’ « occuper le terrain ». Il lui était ainsi devenu loisible de paralyser le litige jusqu’à l’intervention d’un règlement dans le cadre d’actions semblables intentées dans d’autres juridictions.

Devant la Cour d’appel, Badamshin plaidait que le juge de première instance avait mal exercé sa discrétion dans la mesure où rien ne soutenait que son recours n’était pas mu dans le meilleur intérêt des membres putatifs. L’appelante avançait également qu’une analyse comparative entre les deux demandes aurait mené le juge, s’il s’y était livré, à conclure que toute faiblesse reprochée à son propre recours affectait également celui de l’intimée.

En aval d’un rappel utile sur la modulation de la règle du premier dépôt, la Cour d’appel confirme l’exercice discrétionnaire du juge de première instance. En effet, dans Schmidt[ii], la Cour avait été amenée à examiner certains effets néfastes du principe consacré par l’arrêt Sevrier[iii], en vertu duquel la première requête en autorisation déposée au greffe sera entendue avant toute autre. La Cour avait reconnu que la « course au dépôt » pouvant en résulter est susceptible de nuire à la qualité des requêtes et, incidemment, à la représentation des membres. Cherchant à protéger leurs intérêts sans toutefois opter pour un système onéreux de type « carriage motion » semblable à celui en vigueur dans les provinces de common law, le juge Dalphond avait alors prêché pour une solution mitoyenne en appelant à une application souple de la règle en vigueur : la première requête est toujours entendue en priorité, à moins qu’une preuve sérieuse ne démontre qu’elle n’est pas menée dans l’intérêt des membres.

En l’espèce, la Cour d’appel n’identifie aucune erreur dans le raisonnement du juge. La preuve soutenant l’inaction de la représentante et sa faible volonté de faire progresser le recours, c’est à bon droit qu’il a conclu que la première demande devait céder le pas à la deuxième. Quant à l’argument voulant que le juge ait refusé de procéder à une analyse comparative des deux recours, la Cour d’appel, conclut que le plan d’argumentation déposé en première instance par l’appelante suggère plutôt, à l’inverse, que son procureur a explicitement dissuadé le juge de procéder à cette analyse. Le reproche est donc mal fondé.

Dans Cohen c. Option Consommateurs[iv], l’inaction d’un représentant était de nouveau scrutée par la Cour. En appel d’un jugement de l’Honorable Claudine Roy[v], j.c.s, l’Appelante soumettait que la juge s’était prématurément autorisée de l’article 1024 a.C.p.c. (589 C.p.c.) afin de substituer le représentant de la première requête déposée par l’intimée. En effet, la juge avait conclu que, bien qu’un représentant ne soit jamais tenu à la perfection, les démarches entreprises en l’espèce étaient largement insatisfaisantes. Elle estimait donc que les membres seraient mieux desservis par le travail d’un autre représentant, en l’occurrence l’intimée.

Devant la Cour d’appel, Cohen argumentait que l’article 1010.1 a.C.p.c., lequel précisait que les dispositions relatives au déroulement du recours s’appliquaient au stade de l’autorisation « à moins que le contexte n’indique un sens différent», faisait échec à l’application de l’article 1024 a.C.p.c. (589 C.p.c.). La Cour d’appel est d’avis que, bien au contraire, rien dans le présent contexte n’empêchait une substitution en vertu de l’article 1024 a.C.p.c. à une étape préalable à l’autorisation :

[17]       Relativement au premier (l’article 1010.1 a.C.p.c. ne permettrait pas l’application de l’article 1024 a.C.p.c. avant la requête en autorisation), nous ne pouvons conclure que le contexte dans lequel s’inscrit une demande d’autorisation d’exercer un recours collectif exclut, à cette étape, l’application de l’article 1024 a.C.p.c. Au contraire, l’application de cette disposition à l’étape préautorisation, par le biais de l’article 1010.1 a.C.p.c., vise précisément à prémunir les membres putatifs contre les gestes préjudiciables qu’un représentant incapable de les représenter adéquatement serait susceptible de leur causer s’il continuait à assumer le statut de membre requérant. Rappelons qu’en adoptant l’article 1010.1 a.C.p.c., l’objectif recherché par le législateur visait précisément à éviter qu’un représentant ne compromette les droits des membres avant l’autorisation. À cet égard, les commentaires formulés par le ministre de la Justice lors de l’adoption de cette disposition ne laissent planer aucun doute[…]

Il en découle donc, conformément aux principes déjà applicables, que les démarches du représentant sont en tout temps assujetties à une forme de surveillance lorsque les intérêts des membres sont en jeu:

[24]       En d’autres termes, si la capacité du requérant à représenter adéquatement les membres du groupe s’apprécie normalement au moment de la présentation de la demande d’autorisation, rien n’empêche les membres de soumettre la question au tribunal au préalable lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, le membre-requérant tarde indûment à présenter cette demande.

[25]       Cela dit, il est bien sûr entendu que l’application de l’article 1024 a.C.p.c. avant la présentation de la requête en autorisation ne peut et ne doit pas constituer l’équivalent d’un carriage hearing. Pareille demande doit reposer sur des éléments de preuve sérieux et convaincants.

En somme, il s’agit d’une double confirmation par la Cour d’appel du sens à insuffler aux principes dégagés par l’arrêt Schmidt et de l’utilité pratique de cette approche flexible. Bien que la priorité du premier dépôt demeure, la protection des intérêts des membres, et incidemment le devoir du tribunal d’y veiller, impose une diligence minimale.

[i] Badamshin c. Option consommateurs, 2017 QCCA 95
[ii] Schmidt c. Johnson & Johnson inc., 2012 QCCA 2132
[iii] Hotte c. Servier Canada inc., [1999] R.J.Q. 259
[iv] Cohen c. Option consommateurs, 2017 QCCA 94
[v] Cohen c. LG Chem Ltd, 2015 QCCS 6463

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