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Attention : les demandes de prolongation de délai ne sont pas automatiques

Attention : les demandes de prolongation de délai ne sont pas automatiques

Le 10 octobre 2018, le juge Stéphane Sansfaçon a rendu une décision dans A.M. c. Procureure générale du Québec[1] en refusant une demande de prolongation de délai prévu à l’article 173 C.p.c. pour inscription du dossier.

Cette affaire fait une revue importante des principes applicables lors d’une demande de prolongation de délai, ainsi que sur l’application des articles 173 et 177 C.p.c.

Essentiellement, les demandeurs ont présenté une demande de prolongation de délai avant l’expiration du délai d’inscription. Cependant, bien que cette demande ait été notifiée dans le délai requis, elle n’a finalement été présentée que 14 mois plus tard. Le juge note qu’aucune raison réelle n’a été présentée pour justifier l’inaction des demandeurs pendant une si longue période de temps.

La première question posée par le tribunal est la suivante : la demande des parties est-elle régie par l’article 173 C.p.c. ou plutôt par l’article 177 C.p.c.? Rappelons que l’article 173 C.p.c. prévoit les critères régissant une demande de prolongation dûment signifiée avant l’expiration du délai d’inscription, même si elle est présentée postérieurement à celui-ci. Quant à l’article 177 C.p.c., il indique que si une telle demande de prolongation n’est pas présentée dans le délai requis, le demandeur est présumé s’être désisté de sa demande à moins que le tribunal ne le relève de ce défaut. Pour ce faire, le demandeur doit démontrer qu’il était dans l’impossibilité d’agir.

En l’espèce, de l’avis du tribunal, ce ne sont pas les critères de l’article 173 C.p.c. qui s’appliquent mais bien ceux de l’article 177 C.p.c. étant donné le trop long délai qu’ont pris les demandeurs avant de présenter leur demande de prolongation de délai.

Le tribunal indique que :

[38]    (…) Ce défaut d’avoir agi promptement amène le Tribunal à classer leur demande comme étant hors délai, et les demandeurs sont par conséquent présumés s’être désistés de leur demande introductive d’instance. Partant, leur demande de reporter le délai doit être traitée comme une demande d’être relevé du défaut, et que le Tribunal ne peut lever la sanction que « s’il est convaincu qu’ils étaient en fait dans l’impossibilité d’agir dans le délai imparti », tel que le prévoit l’article 177 C.p.c.

Le tribunal rappelle alors les trois décisions récentes rendues par la Cour d’appel[2] concernant l’approche que doit adopter un juge saisi d’une demande en vertu de l’article 177 C.p.c.

Dans Heaslip c. McDonald[3] , elle [la Cour d’appel] écrivait :

[4]    Pour les raisons qui suivent, la Cour est d’avis que, s’agissant d’une question de fait, l’impossibilité d’agir dont parle l’article 177 C.p.c. doit s’apprécier eu égard à la partie demanderesse elle-même, puisque c’est elle qui aura à supporter les conséquences du défaut si la sanction n’en est pas levée. Cette impossibilité peut résulter de l’erreur, de l’incompétence ou de la négligence, même grossière, de son avocat, dans la mesure où la partie elle-même aura agi avec diligence. Si tel est le cas, le tribunal devrait en principe relever la partie de son défaut, tout en précisant par ailleurs qu’il ne s’agit pas là pour autant d’un automatisme. Un exercice de pondération, dans le respect de l’article 9 C.p.c., est requis de la part du tribunal saisi de la demande.

[…]

[31]    Si la partie demanderesse démontre avoir été « en fait dans l’impossibilité d’agir » dans le délai imparti, y compris en raison de la négligence ou de l’incompétence (même grossière) de son avocat, on devrait en principe s’attendre à ce que le tribunal la relève de son défaut, tout en précisant qu’il ne s’agit pas là pour autant d’un automatisme. L’article 177 C.p.c. confère au tribunal un pouvoir discrétionnaire — il « peut » lever la sanction — qu’il doit exercer dans le respect notamment de l’article 9 C.p.c. et ainsi « assurer la saine gestion des instances en accord avec les principes et les objectifs de la procédure/ensuring proper case management in keeping with the principles and objectives of procedure ». Ces principes et objectifs reposent, entre autres, sur une gestion diligente et efficace des instances en vue d’un bon fonctionnement du système judiciaire. Tous les intervenants du milieu judiciaire, dont les juges d’instance, doivent contribuer à la célérité de la justice civile et à l’instauration de la nouvelle culture que propose la réforme procédurale. On peut donc s’attendre à ce que des comportements qui étaient auparavant tolérés ne le soient plus. Mais, du même souffle, on ne peut perdre de vue que le droit d’une partie d’être entendue et l’accessibilité aux tribunaux font également partie des principes directeurs de la procédure civile, comme le prescrivent les articles 17 C.p.c. et 23 de la Charte des droits et libertés de la personne.

[32]    L’article 177 C.p.c. requiert donc un exercice de pondération et les facteurs énoncés dans l’arrêt Zodiac (sous réserve de la précision apportée au paragraphe 30), bien que non limitatifs, constituent un cadre d’analyse approprié. Rappelons, par souci de commodité, que ceux-ci amènent le tribunal à tenir compte, entre autres, du préjudice qui découlerait de son refus de lever la sanction, du caractère apparemment sérieux de l’action, du temps écoulé depuis l’expiration du délai d’inscription et du comportement de toutes les parties et de leurs avocats à l’égard du déroulement de l’instance.

(Références omises)

Le tribunal conclut donc que c’est le comportement de la partie elle-même qui doit être analysé afin de déterminer si celle-ci était réellement dans l’impossibilité d’agir. Il conclut que les demandeurs n’ont absolument rien fait pour avancer leur dossier depuis le début de l’institution de l’action.

Il rejette donc la demande pour prolonger le délai, tout en soulignant qu’il est évident que les demandeurs risquent de subir un préjudice du fait qu’il est probable que leur droit d’action soit alors prescrit. Cependant, il souligne que ce préjudice doit être opposé à celui des défendeurs qui sont en droit de s’attendre à ce que les demandeurs agissent afin de faire progresser leur dossier.

_________________________________________________

[1] A.M. c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCS 4603
[2] Syndicat de copropriété du 8980 au 8994 Croissant du Louvre c. Habitations Signature inc., 2017 QCCA 1272; Villanueva c. Pilotte, 2017 QCCA 1274 ; Heaslip c. McDonald, 2017 QCCA 1273
[3] Heaslip c. McDonald, 2017 QCCA 1273

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