Article 342 Cpc : Le Tribunal peut sanctionner les manquements importants dans le déroulement de l’instance
De droit nouveau, l’article 342 Cpc s’inscrit dans la philosophie du nouveau Code de procédure civile en permettant au tribunal de faire usage de sa discrétion afin d’octroyer un montant juste et raisonnable à une partie qui aurait été victime de manquements importants commis par une partie adverse. Méconnue et rarement invoquée depuis son entrée en vigueur, cette disposition prévoit que :
342. Le tribunal peut, après avoir entendu les parties, sanctionner les manquements importants constatés dans le déroulement de l’instance en ordonnant à l’une d’elles, à titre de frais de justice, de verser à une autre partie, selon ce qu’il estime juste et raisonnable, une compensation pour le paiement des honoraires professionnels de son avocat ou, si cette autre partie n’est pas représentée par avocat, une compensation pour le temps consacré à l’affaire et le travail effectué.
[nous soulignons]
Or, dès 2018[1], l’honorable André Prévost, j.c.s. procédait à l’analyse de l’article 342 Cpc en affirmant qu’il se voulait foncièrement punitif, ce qui le distinguait du remède purement indemnitaire prévu aux articles 51 à 54 Cpc. À cet égard, le juge s’exprimait ainsi :
[43] Le pouvoir conféré au tribunal à l’article 342 C.p.c. est celui de « sanctionner les manquements importants » en ordonnant à une partie « à titre de frais de justice » de verser « une compensation pour le paiement des honoraires professionnels de [l’]avocat » de la partie adverse. Une telle ordonnance est essentiellement de nature punitive.
[44] À l’inverse, la condamnation de l’article 54 C.p.c. aux « dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les débours que celle-ci a engagés » est plutôt de nature compensatoire. Par contraste, cette disposition permet aussi au tribunal d’attribuer des dommages-intérêts punitifs, si les circonstances le justifient. La phraséologie utilisée met donc en opposition deux notions : l’indemnité (la compensation des honoraires) et la sanction (les dommages-intérêts punitifs)[2].
[nous soulignons]
Dans cette affaire, le tribunal avait condamné le demandeur à verser la somme de 15 291,68 $ aux défenderesses en raison de la nature abusive de son comportement. Fait peu anodin, cette condamnation visait un demandeur dans une action collective, et ce, avant même que le processus menant à l’audition sur l’autorisation n’ait été enclenché. Cela étant, il importe de rappeler que les tribunaux s’étaient montrés réticents, voire hostiles à faire courir des risques financiers aux demandeurs dans le cadre d’actions collectives. Le Tribunal a donc franchi une étape importante en sanctionnant ainsi les manquements graves du demandeur.
Plus récemment, l’article 342 Cpc a fait l’objet d’un jugement fort intéressant dans l’affaire Layla Jet Ltd. c. Acass Canada Ltd., 2020 QCCS 667 (requête pour permission d’appeler rejetée[3]) tandis que l’honorable Lukasz Granosik, j.c.s. a condamné Layla Jet Ltd. (« Layla ») à verser à Acass Canada Ltd. (« Acass ) la somme de 91 770,10 $ dans un délai de 60 jours, sans quoi Acass pourra demander le rejet l’action.
Le manquement important reproché à Layla était de ne point s’être assurée de la présence de témoins essentiels à sa théorie de sa cause dans ce dossier datant pourtant de 2012. Or, le 24 février 2020, au premier jour du procès sur le fond prévu pour cinq (5) jours, Layla a demandé la remise de l’audition pour cause de l’absence de deux témoins indispensables auxquels aucune citation à comparaître n’avait été adressée. Quant à elle, Acass n’avait été avisée de cette situation que trois jours plus tôt.
Il s’ensuivit alors un débat entre les deux parties, Layla demandant la remise du procès, tandis qu’Acass demandait plutôt que le procès ait lieu, et ce, afin que cette affaire qui perdurait depuis plusieurs années connaisse enfin son dénouement. Après avoir soupesé les conséquences subies par les deux parties, le Tribunal en est venu à la conclusion que le refus de la demande de remise de Layla aurait certes des conséquences irréparables, celle-ci ne pouvait faire valoir sa théorie de la cause. Par ailleurs, le préjudice subi par Acass en cas de remise s’avérait certainement compensable de sorte que le Tribunal a accueilli la demande de remise du procès de Layla tout en déclarant qu’elle avait cependant contrevenu à l’article 342 Cpc[4].
Par conséquent, le juge a convoqué les parties adverses à se présenter devant lui le lendemain, à savoir le 25 février 2020, et ce, afin de déterminer les montants dus à Acass. D’une part Acass réclamait le remboursement intégral de ses honoraires extrajudiciaires, soit 195 450,48 $ (202 997,75 $ en incluant les déboursés). Pour sa part, Layla plaidait essentiellement que le montant octroyé à Acass devait être tributaire de la gravité du manquement et non du simple calcul des honoraires encourus par la partie adverse. Il s’agit donc de déterminer le fondement du calcul des dommages à verser en vertu de l’article 342 Cpc.
Après avoir analysé les rares décisions portant sur cette disposition, le juge en est venu à la conclusion qu’il n’y avait aucune règle selon laquelle les montants octroyés à une autre partie étaient tributaires de l’intensité de la gravité du manquement de la partie adverse. Il propose plutôt d’importer un principe mis de l’avant par la Cour d’appel du Québec dans le cadre d’une condamnation en matière d’abus de procédure en vertu de l’article 51 Cpc, à savoir celui de l’adéquation entre la réclamation et la condamnation. Afin d’évaluer ladite adéquation, le juge devait essentiellement se prêter à un exercice visant à déterminer si les honoraires engagés sont raisonnables.
Dans cette optique, le juge a procédé à une démarche en trois étapes. Tout d’abord, il a considéré les honoraires professionnels engagés par la partie adverse. Il a ensuite évalué si ces honoraires étaient raisonnables, et ce, avant de conclure en se penchant sur le contexte de l’affaire afin de moduler ses conclusions.
À la première étape de cette démarche, le juge a constaté qu’une portion des honoraires réclamés par Acass visait le travail effectué afin de contester la demande de remise de Layla. Ce montant de quelque 15 000 $ a donc été exclu de la réclamation de 195 450,48 $. En ce qui a trait à la deuxième étape de cette démarche, bien qu’il ait trouvé que le temps investi par les avocats d’Acass était considérable, le juge a déterminé que les honoraires réclamés étaient raisonnables eu égard au temps consacré à l’affaire, à la répartition des ressources au sein du cabinet représentant Acass et aux taux horaires des avocats impliqués par rapport à leur expérience.
Enfin, le juge a entamé l’analyse contextuelle qui doit être effectuée à la troisième étape de la démarche en relevant que le manquement de Layla n’était pas d’une gravité extrême. Néanmoins, il s’agit d’une imprudence et d’un manque de diligence dont les conséquences sont indéniables, à savoir la remise d’un procès au fond. En analysant le contexte de cette affaire, le juge a conclu que, bien que le procès ainsi remis soit reporté d’un an ou deux, le travail investi n’est pas entièrement perdu (recherche jurisprudentielle, préparation des interrogatoires et contre-interrogatoires, etc.). D’autres éléments devront cependant être repris, notamment la maîtrise du dossier et les rencontres préparatoires avec les témoins. En fin de compte, le juge en est venu à une formule selon laquelle 75% du travail de recherche et d’écriture sera conservé, tout comme 50% du travail de préparation. La mise en application de cette formule lui fait conclure que Layla doit verser 91 770,10 $ à Acass en raison de son manquement important.
Ce jugement récent de la Cour supérieure s’avère particulièrement pertinent. En effet, d’une part, le juge a effectué une analyse approfondie ce qui a trait à l’évaluation de la réclamation d’Acass en vertu de l’article 342 Cpc. D’autre part, le juge a octroyé un montant substantiel qui tranche avec les (rares) jugements portant sur cette disposition. En effet, avant ce jugement, les sommes versées en vertu de l’article 342 Cpc étaient de moindre envergure. Or, il appert inévitable que, quelques années après l’entrée en vigueur de la nouvelle version du Code de procédure civile, les juges seront de plus en plus enclins à sanctionner les manquements importants des parties comme le fit le juge Granosik en l’espèce. Bien entendu, l’on peut s’attendre à ce que l’enthousiasme dont font preuve les membres du Barreau envers l’article 342 Cpc s’accroîtra en conséquence.
__________________________________________________
[1] Gagnon c. Audi Canada inc., 2018 QCCS 3128
[2] Ibid, at paras 43-44.
[3] Layla Jet Ltd. c. Acass Canada Ltd., 2020 QCCA 720
[4] Layla Jet Ltd. c. Acass Canada Ltd., 2020 QCCS 1524